Jalal Alavinia
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Forough Farrokhzad : la vie

1. Enfance

samedi 17 mai 2008, par Collectif LP


Toute poésie est liée à l’enfance, lieu de l’imaginaire, de l’enchantement et de l’émerveillement. Innocence, pureté et insouciance l’habitent également. Le poète en conserve toute sa vie la fraîcheur et la simplicité. C’est le cas de la poétesse iranienne, Forough Farrokhzad. L’envie de retrouver ce paradis perdu, la nostalgie de « Ces jours-là… », constituent l’un des thèmes dominants de sa poésie.

Forough Farrokhzâd, née le 4 février1934 à Téhéran, est la deuxième fille d’une famille de sept enfants, qui compte trois filles et quatre garçons.

Elle a vécu une enfance relativement heureuse, malgré une éducation très sévère, assortie parfois de mauvais traitements et même de violences. Le père, colonel de l’armée de Reza Shah, en charge des propriétés royales dans le Nord de l’Iran, avait transformé sa maison en caserne : discipline de fer, exercices obligatoires, travaux imposés et châtiments corporels très sévères. Pouran, sa soeur aînée le confirme : « C’est un père très sévère envers ses enfants, mais par ailleurs un amoureux d’histoire, de littérature et de poésie. » Sa mère, femme au foyer, simple et pieuse, avait développé envers les hommes une grande méfiance entièrement justifiée par ses déboires conjugaux. Obsédée d’hygiène et de santé, elle aussi faisait régner un ordre quasi militaire à la maison. Malgré la tendance monarchiste du père et la religiosité de la mère, presque tous les enfants sont devenus démocrates et républicains de gauche, mais sans engagement politique précis. Ils ont tous développé de très fortes personnalités, une indépendance d’esprit et une liberté de ton alliées à des sensibilités soit artistiques, soit scientifiques.

De nombreuses questions se posent encore concernant l’évolution de la personnalité de Forough. Dans cette esquisse biographique, nous allons tenter quelques réponses.

Comment Forough se comportait-elle au sein de sa vaste fratrie ? C’était déjà une rebelle : elle refusait de respecter les règles de conduite qu’on voulait lui imposer, et ne cédait pas à l’agressivité de ses frères. Pouran raconte que Forough rivalisait avec les garçons. Elle grimpait aux arbres, marchait sur la crête des murs et se bagarrait souvent avec ses camarades. Elle criait et hurlait, si ses désirs étaient contrariés et se mettait à pleurer en cas de détresse. Puis, lasse de l’angoisse et du silence, cette enfant pleurante souhaitait que le sommeil l’emmène au pays rose des fées de l’oubli. En effet, elle connut beaucoup de moments de détresse et pleura presque toute sa vie.

Montrait-elle déjà des signes précurseurs de la passion inquiète qui serait le ressort de sa vie ? Forough était, selon ses proches, une fille joyeuse, dynamique, audacieuse et probablement heureuse avant l’âge de la puberté. Ses problèmes auraient commencé avec son mariage précoce, son divorce précipité, la perte de la garde de son fils et sa décision de se consacrer à la poésie. Elle était quand même très différente de toutes les autres filles de par sa sensibilité et son attachement à la nature. Elle se repliait parfois sur elle-même, silencieuse, comme emportée par une tristesse, inexplicable et étrange. Parfois même, elle se cachait dans un placard et restait longtemps dans le noir. Toute jeune, elle composait des poèmes tout en participant aux activités quotidiennes. Son père l’avait initiée à la poésie, mais elle avait probablement dès sa petite enfance une âme de poète.

Comment expliquer l’attachement de Forough à la nature ? Dans certains de ses poèmes, elle s’identifie même à des fleurs : « Je plante mes mains dans le jardin et je pousserai », ou « J’étais une fleur de joie », ou encore, « Si seulement j’étais le parfum secret d’une plante ». Beaucoup de ses poèmes ressemblent à des jardins pleins d’oiseaux et de fleurs. Les ruisseaux, les vagues, le vent, le soleil, la mer et l’océan sont aussi des motifs récurrents de sa poésie. Elle écrit qu’elle est « de la lignée des arbres » et « des fleurs ». Forough est née dans une grande maison au coeur d’un jardin, dans un vieux quartier de Téhéran. Dans le Téhéran de l’époque, les maisons étaient entourées de jardins remplis d’arbres, de fleurs et d’animaux. Bassins et ruisseaux ajoutaient à la magie des lieux. En outre, le Téhéran des années 30 était vraiment une petite ville ancienne entourée de villages et de champs parcourus de ruisseaux. N’oublions pas non plus que Forough a passé aussi plusieurs années de son enfance dans le Nord de l’Iran, au bord de la mer Caspienne et tout près des forêts denses et immenses du Mazandaran. La nature a donc nourri sa sensibilité.

Forough, ne transforme-t-elle pas cet attachement à la nature en une sorte de relation fusionnelle ? Elle développe, nous semble-t-il, une sorte de mystique de la nature qu’elle partagera plus tard avec Sohrab Sepehri, chez qui cette tendance est dominante. Quoi qu’il en soit le lien avec la nature reste le trait d’union essentiel entre la poésie persane classique et la poésie moderne.

Ce qui frappe chez Forough, c’est une sensibilité exceptionnelle qu’elle manifeste toute jeune fille. Son intérêt pour la nature ne l’isole pas des hommes. Au contraire, elle a pour les « faibles » une réelle compassion. Pouran nous raconte un épisode de sa vie concernant une vieille domestique qu’elle accompagne à l’hôpital puis au cimetière. Dans ses lettres, Forough elle-même parle de la mort d’une autre femme, probablement une prostituée, dans une chambre d’hôtel, et de son dégoût pour le traitement inhumain qu’elle subissait. L’exemple le plus révélateur de cette attitude est son comportement à l’égard des lépreux qu’elle met en scène dans un documentaire célèbre, « La Maison est noire ». Au bout de quatorze jours de tournage, pendant lesquels elle partage leur vie, elle décide d’adopter un jeune garçon, nommé Hossein.

Un autre aspect de cette sensibilité aiguë, est une lucidité extrême, qui évolua chez Forough en un sentiment prémonitoire. Certains de ses poèmes témoignent de cette faculté.

Pressentant peut-être que sa vie serait brève, elle s’efforce d’aller le plus vite possible au bout de toutes ses potentialités artistiques, suggérant dans ce qu’elle écrit l’évolution de la société iranienne. Mieux encore, elle est l’incarnation anticipée de la femme libre, indépendante et moderne qui émergera dans la future société iranienne. Le combat des femmes à ses yeux réside non seulement dans les luttes contre les inégalités, mais aussi dans la reconquête de soi.

Cette sensibilité n’est-elle pas aussi à l’origine de la quête du sens qu’elle voudrait donner à sa vie ? Forough a dès son enfance un idéal de vie : se réaliser et s’affirmer comme un individu libre et autonome. Pouran qui est très proche d’elle est notre source la plus crédible pour la connaissance de sa personnalité. Elle raconte dans ses mémoires, les nuits passées dans son enfance en compagnie de sa soeur à contempler les étoiles. Forough rêvait d’accéder aux étoiles, mais pour les ramener sur terre et en faire des colliers. Elle voulait aller au-delà à la rencontre de Dieu.

Mais paradoxalement, cette recherche se transforme en la quête d’un principe, le principe de lumière, différent de celui des mystiques. D’ailleurs, l’ascension spécifique de la quête spirituelle cède le pas à un désir de s’identifier à des forces de la nature. Alors que les mystiques cherchent à conquérir le royaume des cieux, Forough part à la conquête du jardin de la vie sur terre.

Pour compléter ce portrait de Forough, arrêtons nous sur la relation qu’elle nourrit avec son corps : elle est blonde, elle a de grands yeux noirs et un regard profond, brillant et extrêmement séduisant, et une voix qui, selon Sepehri, « ressemblait à la tristesse perturbée de la réalité ». Elle joue avec cette apparence, changeant constamment la couleur et la coupe de ses cheveux et même la forme de son nez. Dans ce domaine aussi elle devance les jeunes filles iraniennes d’aujourd’hui qui voient dans la chirurgie esthétique un signe de modernité !


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