Jalal Alavinia
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Nouveauté Lettres Persanes

Forough Farrokhzad - La Nuit lumineuse

Écrits : lettres, récit de voyage, nouvelles, articles, scénario...

lundi 7 février 2011, par Collectif LP

Forough Farrokhzad (1934-1967) est une figure majeure de la poésie moderne persane et l’une des inspiratrices du mouvement de l’émancipation des femmes iraniennes. Sa poésie, déjà publiée par nos soins, ses écrits publiés ici pour la première fois en français, et sa vie se trouvent toujours, quarante quatre ans après sa mort tragique, au cœur de tous les débats concernant la question de la femme.

Nouveauté Lettres Persanes

Commentaire de Christian Jambet,

Philosophe

Paris, le 13 mars 2011

Cher Monsieur Alavinia,

C’est avec toute ma gratitude envers votre travail de traducteur et d’éditeur, mon sentiment de recevoir de vous un très précieux don, que je reçois et médite le très beau volume des écrits de Forough Farrokhzad, La Nuit lumineuse. Ce volume est bien autre chose qu’un simple complément au volume de poésie. Il est lui-même poésie et il témoigne de l’étonnante lucidité, de la force et de la modernité de Forough Farrokhzad, étrangement confondus avec l’obscurité, l’égarement expérimenté et les plus fidèles traditions de l’Iran, à commencer par les thématiques de l’amour et de la mort, de l’effacement de soi et de l’espérance sans concession. J’ai été au comble de l’émotion, en lisant votre excellent recueil, en repérant grâce à vous des solidarités spirituelles que je pressentais seulement, et en lisant - enfin - les textes où le travail de cinéma et les lectures critiques se réfléchissent. Quelle grande âme ! Je ne lui vois, à la même époque, qu’une figure correspondante en Europe, Simone Weil. Mais ici, pas de mystique proprement dite, une conscience aiguë de la fin de la théologie, et une inconditionnelle motion vers l’amour. Un grand merci, et mon plus sincère hommage pour votre travail et celui de Thérèse Marini.

Je vous prie de me croire votre très sincère ami.

Christian Jambet

Sortie 22 février 2011

Forough Farrokhzad. La Nuit lumineuse

Ecrits : lettres, récit de voyage, nouvelles, entretiens, scénario…

ISBN : 9782916012100, Format 19x13.50. 418 pages, Illustrations, Prix 25 € Diffusion Lettres Persanes

Commande : lettrespersanes@wanadoo.fr Tel. 0146633379 Fax 0970630538

Lettres Persanes 10, rue de l’Eglise 94110 Arcueil

ISBN : Prix : 25 € 9782916012100


Table

Introduction… 5

Repères biographiques… 11

Lettres à Parviz Chapour :

Avant le mariage … 25

La vie commune… 71

Après le divorce… 125

Parviz Chapour… 164

Cariclamatures… 165

Autoportrait de jeunesse… 169

Anna de Noailles… 175

Bilitis, vraie ou imaginaire ? … 177

Pierre Louÿs… 178

Pouran Farrokhzad… 180

Kâmyâr Chapour… 182

Entretien, magazine Rochanfekr… 185

Récit de voyage… 187

Lettres à la mère de Parviz et à son père… 227

Nouvelles :

Ce petit monde… 241

Le chagrin de demain… 256

La destination… 262

Echec… 268

Indifférent… 275

Le cauchemar… 281

Mon petit ami… 287

Critiques littéraires :

Un regard sur la poésie d’aujourd’hui… 297

La Fin du Shâhnâmeh… 307

Scénario, La Maison est noire… 313

Entretien : La Maison est noire… 347

Lettres au père de Hossein Mansouri… 353

Hossein Mansouri… 357

Entretien avec Hassan Honarmandi… 361

Entretien avec Iradj Gorguine… 364

Entretien avec Cyrus Tâhbâz et Gholamhossein Sâ’edi… 367

Entretien avec M. Azâd… 377

Lettres à Fereidoun … 387

Fereidoun Farrokhzad… 398

Lettre à A. R. Ahmadi… 401

Ebrahim Golestan… 405

M. A. Salès… 407

Lettres à Ebrahim Golestan… 408

Introduction

Incarnation des femmes mythiques de la littérature millénaire de l’Iran telles Roudâbeh, Tahmineh, Gordâfarid, héroïnes du Shâhnâmeh de Ferdowsi, Weis, héroïne du roman de Gorgâni, Chirine, Leili, et les sept princesses de Nezâmi ainsi que Shahrzâde des Milles et une nuits, héritière des personnalités historiques comme Râb’eh, Mahasti, Tâhereh, Jaleh et Parvine, des poétesses qui ont plus ou moins partagé un destin commun, Forough Farrokhzad (1934-1967) est une figure majeure de la poésie moderne persane et l’une des inspiratrices du mouvement de l’émancipation des femmes iraniennes. Sa poésie, déjà publiée par nos soins, ses écrits publiés ici pour la première fois en français, et sa vie se trouvent toujours, quarante quatre ans après sa mort tragique, au cœur de tous les débats concernant la question de la femme.

Dès son adolescence, elle a cherché, par son esprit libre et rebelle, par l’indépendance de sa personnalité, par sa sensibilité extraordinaire, par sa conviction du pouvoir de l’amour et de l’art, à conquérir toujours de nouveaux espaces de liberté, à aller vers de nouveaux territoires de la créativité et à avancer sur les chemins de l’accomplissement de ses potentialités intellectuelles, affectives et humaines.

Par le hasard des circonstances ou peut-être par la force de son caractère, sa volonté et son intelligence, elle a vécu, accompagné et anticipé, probablement involontairement et inconsciemment, dans un cheminement précoce ou dans un processus d’évolution accélérée, toutes les étapes du mouvement de libération de la femme qui ont marqué l’histoire de l’Occident, telles que nous les avons connues depuis les années soixante.

S’engageant dans un combat acharné contre ses parents pour leur imposer son choix du futur partenaire de sa vie, choix d’un mariage d’amour, à l’âge de seize ans, elle croyait pouvoir avoir le champ libre pour se consacrer à la passion de sa vie, la poésie, et en même temps la concilier avec une vie conjugale paisible et constructive. Hélas, elle ne découvre que l’enfer des tâches domestiques, des obligations conjugales et des devoirs maternels, aggravé par les préjugés de son mari à l’égard de la femme, son conservatisme, ses contraintes et ses restrictions concernant les activités sociales de sa jeune mariée qui allait vite gagner célébrité et réussite et devenir la plus grande poétesse de l’Iran contemporain.

Sa poésie, contrairement à celle des poètes anciens, n’est pas le récit, selon Christian Jambet, « d’une âme qui s’évade de la prison du corps, mais d’un corps vivant de l’esprit de la poésie s’évadant de la prison de l’âme, de la prison spirituelle faite des valeurs du mariage et de la paix respectable qu’elles proposent ». Elle voudrait réhabiliter son corps à travers la réalisation de sa sexualité pour pouvoir ensuite reconstruire sa personnalité, son identité féminine, sur les bases de l’égalité, de la liberté, de l’autonomie, de l’activité professionnelle, de la jouissance des plaisirs de la vie, de l’amour charnel et enfin de l’épanouissement personnel.

Sa poésie ressemble à un volcan de sentiments et de ressentiments, de blessures et d’aspirations, dont les laves continuent toujours de couler sur les générations successives de la jeunesse iranienne. Cette poésie va sans doute rencontrer des résistances et des oppositions de la part de son entourage, des religieux, des traditionalistes et des intellectuels « engagés ».

Tiraillée entre son amour pour Parviz Chapour - qui lui demande de renoncer à la poésie et de se contenter de la vie d’une simple femme au foyer, de s’occuper de son fils, Kâmi, de devenir une femme comme toutes les autres femmes - et son amour de la poésie, elle opte pour cette dernière. Elle est obligée de se séparer de Parviz et par conséquent de son fils, car le droit de garde est accordé au père. Elle doit maintenant mener une vie de jeune femme divorcée, ce qui aggrave son cas aux yeux de ses parents, des puritains et des milieux traditionalistes. Forough qui avait été qualifiée de mauvaise fille et même de prostituée par son père est maintenant accusée d’être une ‘mauvaise mère’ et ‘une mauvaise femme’. Toute sa vie, elle doit prouver qu’elle a été ‘pure et propre’, qu‘elle n’a pas commis de faute ni de péché.

Fragilisée par la pression de la famille, de ses détracteurs, des controverses médiatiques, des rumeurs et des calomnies, face à l’effondrement des projets de sa vie, à la perte de son aimé et de son enfant, elle fait une dépression qui l’affecte profondément et durablement. Elle en subira les conséquences toute sa vie : les sentiments d’angoisse, de solitude, d’aliénation, de peur, d’isolement, ainsi que les idées noires et les tentatives de suicide, qui prennent fin avec un accident de voiture mortel à l’âge de 32 ans.

Après avoir publié un premier recueil, La captive, Forough quitte l’Iran pour l’Europe dès la fin de sa première hospitalisation. Elle visite l’Italie et l’Allemagne, étudie, apprend des langues, travaille et peu à peu récupère ses forces et retrouve son moral. Elle retourne en Iran après un an, publie le récit de son voyage, un deuxième recueil, Le mur, et écrit des nouvelles et des feuilletons dans les hebdomadaires pour gagner sa vie.

Elle participe aussi après son divorce à des activités théâtrales. Elle continue à mener la vie d’une femme seule, pauvre et souffrante, physiquement et psychologiquement, mais en même temps elle résiste aux pressions, se bât pour défendre son honneur et son intégrité et vaincre ses démons en lisant et écrivant. Elle publie le troisième volet d’une trilogie, un troisième recueil de poésie, La Rébellion, qui marque la fin d’un récit émouvant de la vie d’une femme en captivité familiale et conjugale, se trouvant le dos au mur des contraintes et des conventions sociales et enfin de ses révoltes pour s’émanciper.

A l’âge de 24 ans, Forough se fait recruter d’abord en qualité de secrétaire, ensuite très rapidement comme monteuse et réalisatrice de films documentaires au sein du Studio Golestan Film. Elle refait sa vie entièrement, dans tous les sens du terme, professionnellement, intellectuellement, poétiquement et amoureusement, probablement sous l’influence et en compagnie de son ami, Ebrahim Golestan, écrivain, cinéaste et producteur de films. Elle réalise un documentaire sur la léproserie de Tabriz , La Maison est noire, qui gagne l’admiration des cinéphiles dans le monde entier et qui sera considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma iranien. En même temps elle crée son propre courant poétique dans le cadre de la nouvelle poésie persane en écrivant deux autres recueils, Une Autre naissance, et Croyons à l’approche de la saison froide (publié à titre posthume) la rétablissant comme l’un des piliers incontournable de la poésie moderne iranienne.

Elle n’hésite pas à poursuivre sa vie de femme divorcée, privée de son enfant, bien qu’elle n’ait jamais refusé son amour et son attention aux autres, partageant amitié et affection avec un homme marié, et provoquant forcément les foudres des gens malveillants… Elle était un rayon de lumière qui venait de s’émanciper des ténèbres mais qui fut vite éteint par un destin impitoyable… J. Alavinia

Extraits :

La dernière lettre à Parviz Chapour

« Je ne sais pas pourquoi je t’écris de nouveau. Aujourd’hui, après un mois j’ai reçu une lettre de Maman et j’ai appris les nouvelles de Kâmi. Peut-être que je n’ai pas le droit de t’interroger sur lui et de le considérer comme mon fils, mais peux-tu nier mes sentiments maternels pour lui ? Quand j’ai vu les dessins qu’il a faits pour moi, j’ai beaucoup pleuré. Je ne vais pas bien. Ici, dans la solitude, mon moral se détériore de plus en plus. Surtout que le manque d’argent, le désordre de ma vie et l’errance m’ont écrasée encore plus. Cela fait trois mois que je suis ici mais c’est comme si cela faisait trois ans. Je veux fermer mes yeux et me voir à Téhéran près de Kâmi. Tu m’as oubliée. Tu as raison, je ne mérite aucune affection et aucune compassion. Je suis une personne misérable que mon âme errante traîne à chaque instant ici et là, et je sais où je me trouverai à la fin. Ici, ma vie est maudite et horrible. Depuis trois mois, je suis malade et je n’en dis pas mot.

« … Quand le bonheur s’en va, qu’il s’en aille pour toujours. Parfois je veux crier de douleur, mais je supporte tout. Peut-être que ma mort viendra vite et me sauvera. Quand tout le monde s’est détourné de moi, quand je n’ai pas de nouvelle de mon enfant depuis un mois, quand toi qui as été mon seul soutien tu me tournes le dos, à quoi servira ma vie ? Parviz, peut-être que tu ne me crois pas, peut-être que tu me considères menteuse, méchante et tricheuse, mais je ne suis que malchanceuse. Mon seul péché c’est d’être entrée dans la vie sociale trop tôt, à un moment où les autres filles jouaient à la maison et où je n’avais pas encore la force d’affronter les réalités de la vie. Maintenant, vaincue et misérable, je suis tombée dans cette partie du monde et je suis sûre que si je meure de faim, de maladie, de misère et de désespoir, personne n’en saura rien... « Si je t’ai fait tort, je te demande pardon. J’ai changé, j’ai beaucoup changé. J’étais une enfant et maintenant la vie m’a bien surprise. Parviz, oublie le passé et pour que je puisse étudier tranquillement, écris-moi de temps à autre sur Kâmi et sois ami avec moi comme dans le passé… Si tu veux te marier, vas-y, mais reste ami avec moi… je ne veux pas couper mes liens avec le passé et je veux toujours vous appartenir, à Kâmi et à toi... Laisse-moi au moins me contenter de cet espoir ! Laisse-moi vivre un instant ! Parviz, je te jure que je suis malade et malheureuse et tu ne peux pas comprendre combien j’ai besoin de toi. Pour l’amour de Kâmi, écris-moi ! » F.F.

Sur l’art et la poésie :

« Je pense que l’activité artistique est une sorte de reformulation et de reconstruction de la vie, et la vie est une chose qui a une nature changeante, c’est un courant qui change constamment de forme et qui se développe en permanence. Par conséquent, cette reformulation, c’est-à dire, l’art, à chaque époque a son propre esprit et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas de l’art mais une sorte de tricherie.

« Aujourd’hui tout a changé. Notre monde n’a rien à voir avec celui de Hâfez et Sa’adi. Je pense que même le mien n’a aucun rapport avec celui de mon père. C’est une question de distance. A mon avis, de nouveaux éléments ont été introduits dans notre vie. Ils ont créé l’environnement intellectuel et spirituel de notre société. » F.F.

« Je pense que l’activité artistique doit être accompagnée de la conscience de la vie, de l’existence, du corps et même d’une pomme qu’on croque. On ne peut pas vivre de ses instincts, un artiste ne doit pas et ne peut pas. On doit avoir une idée sur soi-même et sur le monde autour de soi. C’est ce besoin qui fait réfléchir l’homme. Quand on commence à réfléchir, on peut avoir des pieds plus fermes sur la terre. Je ne dis pas que la poésie doit être cérébrale, non, c’est idiot. Je dis que la poésie comme toute autre activité artistique doit résulter des sensations et des perceptions entrainées et dirigées par la pensée. Quand le poète est vraiment poète, je veux dire, un poète averti, vous savez comment ses pensées pénètrent sa poésie. Sous forme d’une « chauve-souris qui vient derrière la fenêtre », à la manière d’une « alouette morte sur une pierre », comme « une tortue qui dort au soleil ». Aussi simplement, sans prétention et avec une telle beauté. » F.F.

« Tant que tu n’as pas atteint ton moi, libre et séparé de tous les autres égos dominants, tu n’obtiendras rien. Tant que tu ne t’es pas mis entièrement à la disposition de cette force qui se nourrit de la mort et de l’anéantissement de l’homme, tu n’arriveras pas à créer ta vie… L’art, c’est l’amour le plus puissant et il permet à l’homme d’atteindre son entière existence à condition qu’il se soumette entièrement à lui. » F.F. Site : lettrespersanes.fr

Autoportrait de jeunesse :

Je suis poète depuis 3 ans…

« … Je suis née à Téhéran au mois de décembre1934 et à présent j’ai 20 ans. Je préfère ne pas parler de mes parents ni du niveau de mes études. Mon père n’est peut être pas très content d’avoir une fille aussi insolente et obstinée que moi.

« J’écris régulièrement des poèmes depuis un an. Jusqu’ici, je lisais, et je peux dire que ces derniers temps j’ai lu beaucoup plus de livres utiles que pendant tous les autres jours de ma vie. Je suis poète depuis 3 ans, je veux dire que j’ai cultivé en moi un esprit poétique.

« A propos du parcours que j’ai choisi dans la poésie et l’idée que je m’en fais, je pense qu’un poème est une flamme de sentiments et qu’il est la seule chose qui puisse me transporter vers un monde de rêve et de beauté. Un poème est beau lorsque le poète y projette toutes les vibrations et les ferveurs de son âme. Je crois qu’il faut exprimer ses sentiments sans aucune restriction. En principe, on ne peut fixer de limite pour l’art, sinon il perd son esprit essentiel. C’est en suivant ce principe que j’écris des poèmes. J’ai beaucoup de mal, en tant que femme, à garder le moral dans cette ambiance malsaine. J’ai consacré ma vie à l’art et je peux même dire que je l’ai sacrifiée pour l’art. Je veux vivre pour mon art. Je sais que le chemin que je suis a fait beaucoup de bruit à présent et dans la société actuelle et je me suis fait beaucoup d’adversaires. Mais je crois qu’il faut enfin briser les barrières. Il fallait que quelqu’un emprunte ce chemin et comme j’ai eu le courage et le dévouement nécessaires, j’en ai pris l’initiative. La seule force qui me donne toujours de l’espoir, c’est l’encouragement des véritables intellectuels et artistes de ce pays. Je déteste les gens qui font tout ce qu’ils veulent et pourtant parlent tout le temps de la purification des mœurs de la société.

Néanmoins, j’accepte avec un grand plaisir la critique juste, mais pas celle qui relève d’un égoïsme et d’une prétention extrême et qui vise à écarter le rival et à le traîner dans la boue. Je sais que beaucoup de choses sont dites sur moi. Je sais que beaucoup de gens interprètent mal mes poèmes et pour me diffamer inventent des répliques à mes poèmes afin de démontrer aux gens que j’écris à l’intention d’une certaine personne. Pourtant, je ne recule devant rien et je ne baisse pas les bras. Comme je l’ai déjà fait dans le passé, je supporte tout avec beaucoup de calme… » F.F.

La poésie et l’amour :

La poésie d’aujourd’hui n’a pas été vraiment capable d’aimer. L’amour dans cette poésie est excessif, chargé de soupirs et de pleurs, et n’est pas adapté à la nervosité et à la précipitation de la vie actuelle ou il est tellement élémentaire et plein de la douleur du célibat qui nous rappelle les miaou miaou des chats en ruts sur les toits ensoleillés des maisons. Dans la poésie d’aujourd’hui on n’a jamais parlé de l’amour comme l’une des plus belles et des plus pures affections humaines. L’union et la fusion de deux corps et sa beauté sacrée qui ressemble à une prière et à une adoration, ont été réduites à un besoin élémentaire. L’étreinte, qui est une sorte d’expression folle du désir et de l’amour, qui crée les liens les plus sublimes et les plus secrets entres les particules de deux âmes et qui est enfin une fenêtre sur ce que l’on appelle Dieu ou la Vérité, a été ressentie seulement comme une sensation dans la chair et la peau et dans le bas de la colonne vertébrale, mais pas comme un sentiment au-delà de cette existence apparente qui se sent tout de suite satisfaite et s’endort et qui oublie l’union.

L’approche du poète d’aujourd’hui par rapport à l’amour est tout à fait superficielle. L’amour dans la poésie d’aujourd’hui se compose d’une quantité de désirs et d’une quantité de soupirs et de pleurs et enfin quelques mots à propos de l’union qui est considérée comme la fin de tout. Tandis que cela pourrait être le commencement de tout. L’amour dans cette poésie n’a pas ouvert une fenêtre sur de nouveaux univers, de nouvelles pensées et de nouveaux sentiments. Il se glisse toujours sur la surface des yeux, des sourcils et de belles jambes et cuisses, des images qui une fois séparées du corps humain ne sont que des images creuses. La poésie d’aujourd’hui a oublié les générations vivantes, l’amour des pierres, des plantes et de la nature, l’amour des femmes errantes, les rues puantes et les pieds-nus, l’amour entre deux personnes et ne fait guère attention aux beautés tristes de la vie.

A propos de mes masnavis, une explication s’impose. Dans le masnavi d’amour, je voulais exprimer un certain niveau de l’amour qui n’existe plus. Une sorte de transcendance dans l’amour. J’y avais accédé. Ce n’est pas un sentiment d’« aujourd’hui ». Aujourd’hui, les gens mesurent l’amour avec le tic tac de leurs montres. Ils l’enregistrent dans les carnets pour qu’il soit respectable, le légifèrent, lui fixent un prix et le placent dans les confins de la fidélité et de la tromperie. Mais ce sentiment qui se développait en moi n’avait rien à voir avec tout cela. Il m’a construite et il me perfectionnera. Je le sais. En tous cas, ce sentiment dans le cadre des caractéristiques de notre époque, était quelque chose d’étrange, vieilli et désuet et il l’est toujours. Parfois on est obligé, pour exprimer certains de ses sentiments étranges, de recourir aux époques lointaines. La forme du masnavi est pour moi quelque chose d’isolé mais toujours courant. C’est peut-être la parole de Mowlânâ qui a octroyé cette qualité au masnavi. Cette forme s’accordait avec la qualité de mon sentiment et c’est ainsi qu’il est exprimé sous cette forme. Je vous rassure, cette forme est d’une bonne qualité. La bonté devient étrange, mais ne vieillit pas et ne meurt pas.

Commentaires :

Jacques Lebert

Les différents écrits présentés dans cet ouvrage permettent au lecteur d’approcher la personnalité et de l’intimité de Forough Farrokhzad.

Tout d’abords son univers. C’est un univers dont Forough Farrokhzad prends conscience très tôt et qui s’impose à elle avec une telle force et présence qu’elle n’y renoncera jamais quelque soit le prix. Il n’est pas utopique mais seulement pur et en avance sur son temps. Elle est visionnaire.

Forough Farrokhzad imagine un monde sincère, de respect, de compréhension et de justice entre les personnes, un monde libre, responsable et juste. Forough Farrokhzad en est complètement imprégnée, donc elle est insoumise, à priori, aux codes sociaux, aux règles familiales, matrimoniales, à la situation de la femme, à la bienséance définie par la société et de même pour l’académisme littéraire.

Parviz et Forough ont partagé un amour transcendé et fusionnel qui comme l’idéal poétique de Forough aller se trouver contraint et défait par l’environnement social.

Insoumise Forough Farrokhzad sera tour à tour rebelle, dépressive, instable et elle explorera beaucoup de possibilités artistiques. Elle est convaincue que tous les êtres humains peuvent partager la vision du monde qui l’anime, que c’est non seulement sa vérité mais une vérité de l’humanité.

Les écrits dans cet ouvrage présentent plusieurs thèmes. D’abord une jeune fille devenant femme qui prend conscience avec passion de son univers et qui refuse d’y renoncer par hypocrisie, sentiment qu’elle a en horreur. Cela la conduit à mesurer et assumer le prix et les efforts qu’elle aura à fournir pour exister sans renoncement ni concession avec son idéal. Elle est ensuite une femme souffrante qui enfante son projet poétique et explore d’autres formes d’expression. Enfin une synthèse de sa vision de la poésie et d’une démarche artistique.

La sincérité de son engagement, qui lui a fait refuser une vie tranquille et faire le choix infiniment douloureux de renoncer à son fils, la détermination dans ses recherches et ses efforts malgré les oppositions et les critiques d’une société archaïque qui lui refuse le droit d’exprimer sa liberté de femme et d’innovation poétique, en font un être d’exception.

Ses différents travaux et recherches dans plusieurs disciplines dévoilent une véritable artiste de grande dimension.

Son œuvre poétique, expression du plus profond de son être en communion avec l’humanité, est universelle et visionnaire.


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