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A paraître

Tâhereh Qorratol’Ayne

Tâhereh, lève le voile !

vendredi 23 mai 2014, par Collectif LP


Tâhereh,

lève le voile !

La vie et l’œuvre de Tâhereh Ghorratol ‘Ayne

(1817-1852)

Extraits :

« Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais vous ne pouvez pas empêcher l’émancipation des femmes. »

Tâhereh

160 ans après sa mort, la simple reconnaissance de l’existence de Tâhereh Ghorratol ‘Ayn et toute discussion sur sa vie et son œuvre sont toujours interdites dans son pays, mais les critiques et les calomnies abondantes sont les bienvenues. Dans de rares occasions, lorsque certaines personnes reconnaissent ses contributions, elles les enveloppent d’anonymat, les couvrent d’ambiguïté, les voilent d’allégorie… Comme s’il n’y avait pas d’autre façon de parler de Tâhereh Ghorratol ‘Ayn, cette femme qui se dévoila avec une telle audace dans l’Iran du milieu du dix-neuvième siècle, sauf à mots voilés. La biographie sommaire d’une femme mutante

Qui est donc cette femme dont le nom ne peut pas être mentionné dans son propre pays plus de 150 ans après sa mort ? Qui est cette femme énigmatique adorée comme une sainte et dénoncée comme une sorcière, admirée comme une femme exceptionnelle et qualifiée de dangereux démon ? Est-elle une martyre ou une criminelle, une hérétique ou une héroïne ? Est-elle le signe de la fin du monde, ou est-elle un messie féminin ? Est-elle « la première martyre de l’émancipation des femmes », « la Jeanne d’Arc persane, le signe avant-coureur de l’émancipation des femmes en Orient », « la Florence Nightingale » d’Iran, ou tout simplement une femme folle prise dans les griffes de ses propres débauches concupiscentes, victime d’un rêve autodestructeur ? Est-il possible de déterrer d’en-dessous d’une avalanche de rumeurs sensationnelles, d’informations fragmentées, de flagornerie concentrée, et de la haine qui l’a engloutie, cette femme qui voulait commander son propre destin et écrire sa propre histoire ? Est-il possible d’évoquer la vie et l’époque de cette femme pionnière sans parler de peur et d’idolâtrie, de diabolisation et de sanctification de la part de ses compatriotes ? Pour humaniser une légende et montrer les dimensions réalistes d’un mythe, n’est-il pas nécessaire d’étudier les deux extrêmes ? Des oppositions apparemment contradictoires de ce genre - sorcière et sainte, vilaine et victime, martyre et criminelle - abordées avec calomnie ou adoration absolue par ses détracteurs ou ses adorateurs, reflètent les réactions face à une femme qui était en avance sur son époque et difficile à cataloguer et à catégoriser.

Tâhereh Ghorratol ‘Ayn est née Fâtemeh Baraghani dans une famille religieuse, à une date inconnue de 1817 dans la ville de Ghazvine… En fait, il y a un débat sur le prénom qu’on lui a donné à sa naissance et sur la date de sa naissance. Selon certaines sources, son vrai prénom serait Om-é Salmeh, ou Zarrine Tâdj mais pas Fâtemeh, et selon d’autres sources, elle serait née en 1814 et non trois ans plus tard. Cette ambiguïté illustre les rôles contradictoires et compliqués que Tâhereh a joués dans la société et dans l’esprit des iraniens … Elle était trop changeante pour être désignée par un seul nom ou une seule étiquette.

Chanter dans les bras du vent

L’image d’une femme voyageant dans les bras du vent loin de son enclave emmurée est aussi l’axe principal de la vie et de la poésie de Tâhereh. A travers les mots, les rythmes et la pulsation infatigable de la rime, elle sent le vent sur son visage, le savoure dans sa bouche et le poursuit comme une amante.

Si je me trouve face à toi je te raconterai mon chagrin point par point, mot par mot. Pour contempler ton visage, j’ai erré partout comme le vent, rue par rue, maison par maison, porte par porte. La Séparation a fait couler du sang de mes yeux, fleuve par fleuve, source par source, ruisseau par ruisseau. Mon cœur chagriné a tissé ton amour sur l’étoffe de mon âme, fil par fil, chaîne par chaîne, trame par trame.

La poétesse se jette littéralement dans les bras du vent pour atteindre un monde plus vaste. Elle s’éloigne des confins étroits des appartements des femmes (andaroune) et fuit les ruelles sinueuses d’une ville iranienne ancienne pour traverser les mers et les océans à la recherche de son bien-aimé. Le vent devient son engin de liberté, son vélo rapide.

Dans ce poème le plus cité, Tâhereh fait corps avec le vent. Dans la littérature comme dans la vie, elle abandonne foyer et famille et fuit l’espace que la société lui a prescrit. Même si le poème est une méditation sur le chagrin de la séparation de son aimé, il est aussi un refus de céder au désespoir. Rejetant la vertu féminine qui consiste à « souffrir et à supporter » (soukhtan et sâkhtan), la poétesse se tourne en toutes directions vers l’objet de son désir. Dans sa recherche, elle passe d’une maison à l’autre, d’une rue à l’autre, espérant entrapercevoir son bien-aimé. Sans être inhibée par les contraintes, se déplaçant sans cesse, elle refuse d’être piégée par les stéréotypes imposés par la tradition et devient sa propre interprète publique - une voix incarnée exigeant la reconnaissance de sa féminité et de sa parole. Dans ce poème elle prend en charge son propre mythe et dans sa quête harnache le vent comme une monture. Ce mouvement dynamique, reflété par le motif répétitif de double synonymes, phrase après phrase, couplet après couplet, est alimenté par une telle aspiration qu’il bouleverse le récit principal de la culture de Tâhereh, un récit qui cherchait à garder les femmes à leur place ; ce mouvement fait exploser les liens de l’immobilité et orchestre une image publique pour la persona poétique, qui à la fois est omniprésente et se fait bien entendre. Bien qu’elle commémore son chagrin dans un langage austère et solide, elle célèbre aussi sa liberté durement gagnée de bouger à son gré.

Farzaneh Milani est auteur de Voiles et paroles : la voix émergeante des femmes écrivains iraniennes (1992), et a traduit avec Kâveh Safa, Une Coupe de péché : Poèmes choisis de Simine Behbahani (1999). Ancienne Directrice du Département des Etudes sur les Femmes et le Genre, et titulaire de la chaire du Département des Langues et des Cultures du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, Milani est aussi professeur de littérature persane et d’Etudes sur les Femmes à l’Université de Virginie à Charlottesville. Ancienne présidente de l’Association des Etudes sur les Femmes du Moyen-Orient aux Etats-Unis, Milani a reçu le Prix All University Teaching en 1998 et a été nommée pour le Prix Virginia Faculty of the Year en 1999.

1. Farzaneh Milani, Les Mots sont mes armes. Les femmes écrivains iraniennes et la liberté de mouvement. Chapitre IV. Badachte et Seneca Falls. PP. 155-185. Editions Lettres Persanes, 2012, Paris. Texte abrégé.

Sur l’étoffe de mon âme

Si jamais je me trouvais face à Toi,

je Te raconterais mon chagrin

mot par mot, point par point.

Pour voir Ton visage,

j’ai couru partout comme la brise,

rue par rue, maison par maison, porte par porte.

La Séparation fait couler du sang de mes yeux,

fleuve par fleuve, source par source,

ruisseau par ruisseau.

Autour de Ta bouche ténue,

de Ton visage ambré,

je me promène de bourgeon en bourgeon,

de fleur en fleur, de tulipe en tulipe.

L’oiseau du cœur est pris par Tes sourcils,

par Tes yeux et Ton grain de beauté,

de cœur à cœur, d’amour à amour.

Mon cœur chagriné a tissé Ton amour

sur l’étoffe de mon âme, fil par fil,

chaîne par chaîne, trame par trame.

Tâhereh a fouillé dans son cœur,

elle n’y a trouvé que les traces de Toi,

page par page, pli par pli, repli par repli.

Le récit du Compte de Gobineau sur le personnage et le rôle de Tâhereh dans le mouvement du Bâb

Joseph Arthur de Gobineau, dit le comte de Gobineau, né le 14 juillet 1816 à Ville-d’Avray et mort le 13 octobre 1882 à Turin, est un diplomate et écrivain français. Source : Les religions et les philosophies dans l’Asie centrale, Paris, Plon, 1865. Texte abrégé. « … L’autre missionnaire, la femme dont je parle, était, elle, venue à Qazvin, et c’est assurément, en même temps que l’objet préféré de la vénération des Bâbys, une des apparitions les plus frappantes et les plus intéressantes de cette religion. Cette femme, donc, s’appelait de son vrai nom, Zarin-Tâdj, « la Couronne d’Or, » et était surnommée Ghorratol ‘Ayn, « la Consolation des Yeux, » nom sous lequel elle est surtout connue ; mais on l’appelle aussi Hezret-é-Tâheréh, « Son Altesse la Pure, » … « Bien que musulmans et Bâbis se répandent aujourd’hui en éloges extraordinaires sur la beauté de la Consolation des Yeux, il est incontestable que l’esprit et le caractère de cette jeune femme étaient beaucoup plus remarquables encore. Ayant souvent, et, pour ainsi dire, quotidiennement assisté à des entretiens fort doctes, il paraît que, de bonne heure, elle y avait pris un grand intérêt, et il se trouva, un jour, qu’elle était parfaitement en état de suivre les subtiles discussions de son père, de son oncle, de son cousin, devenu son mari, et même de raisonner avec eux, et, souvent, de les étonner par la force et l’acuité de son intelligence. En Perse, ce n’est pas chose ordinaire que de voir des femmes appliquer leur esprit à de pareils emplois, mais ce n’est pas non plus un phénomène tout à fait rare. Ce qui est là, comme ailleurs, vraiment extraordinaire, c’est de rencontrer une femme égale à Tâhereh 1. Non-seulement elle poussa la connaissance de l’arabe jusqu’à une perfection inusitée, mais elle devint encore éminente dans la science des traditions et celle des sens divers que l’on peut appliquer aux passages discutés du Coran et des grands auteurs. Enfin elle passait à Qazvin et, à bons endroits, pour un prodige.

Edward Granville Browne et Tâhereh

Orientaliste anglais, Edward Granville Browne est né le 7 février 1862 à Uley prés de Dursely en Gloucestershire. C’est la guerre russo-turque de 1877-78 qui éveilla en lui l’intérêt pour l’Orient. Pendant ses études de médecine, il commença à étudier les langues orientales, notamment le persan, l’arabe et aussi le sanscrit.

Le 30 juillet 1886, lors de ses recherches des sources sur le soufisme à la Librairie Universitaire de Cambridge, il découvrit l’ouvrage de Gobineau, Religions et philosophies dans l’Asie Centrale. Il était surtout attiré par le chapitre sur les Bâbis, qu’il estima être « un récit d’intérêt intriguant et soutenu. » Enthousiasmé, il commença tout de suite à collecter tout ce qu’il pouvait trouver des sources diverses. L’une des raisons de son choix de voyage en Iran plutôt qu’ailleurs en Orient était sa fascination pour le mouvement Babi.

Arrivé en Iran en octobre 1887, il essaya de trouver tout ce qu’il pouvait sur les Bâbis même si les répressions qu’ils avaient subies effrayaient les iraniens rien qu’à l’évocation de leurs noms. Finalement, il réussit à rencontrer les Bahaïs à Ispahan le 28 février 1888. Dès lors, il a pu rencontrer les Bahaïs partout où il allait et aussi collecter des informations et des matières de valeur.

Texte abrégé.

“ C’est en fait rare que dans un pays musulman une femme puisse gagner de la distinction et de la célébrité. Mais s’il y avait jamais une femme qui méritait non seulement célébrité mais aussi immortalité, cette femme était Zarrin-Tâj, fille de Hadji Mollah Mohammad Sâleh de Ghazvin. Elle est plutôt connue sous le nom de Qurratul’ Ayn, lumière des yeux, un nom que les Babis lui ont donné. Dotée d’une rare beauté et surtout d’une intelligence encore plus rare, elle maîtrisait bien l’arabe, le Coran, les traditions et la philosophie. En outre, elle était très éloquente dans sa langue maternelle et elle était reconnue comme une poétesse, absolument non-négligeable. Pour une telle femme, la condition de dépendance et de stagnation intellectuelle que les ordonnances de l’Islam imposent a été d’une manière indescriptible insupportable. C’était probablement en apprenant que Bâb parmi les réformes sociales qu’il avait engagées, cherchait à élever la femme au même niveau que l’homme qu’elle était attirée par son enseignement. Une fois convaincue de sa vérité, elle reçut la nouvelle doctrine avec toute la véhémence d’une nature exaltée et commença, malgré l’opposition de ses parents (qui appartenaient tous à la classe cléricale) à professer et à prêcher la fois Babi. Elle était enfin obligée, en raison des circonstances qui exigent de longues explications, de fuir sa ville natale, Ghazvin. Nous la trouvons plus tard parmi les membres du conseil des babis à Badacht…

Sir Mohammad Eghbal né le 9 novembre 1877 à Sialkot dans le Pendjab en Inde (Pakistan actuel) – décédé le 21 avril 1938, est poète et philosophe. Eghbal est considéré comme l’un des poètes musulmans les plus influents du XXe siècle. Il est aussi considéré comme le père spirituel du Pakistan.

Voici un extrait de son livre Javid Nameh, Le Livre de l’Eternité, où Eghbal relate ses visions de Hallâdj et de Tâhereh (the Lady of Persia)

THE SONG OF TAHIRA

If I ever confronting face to face my glance should alight on you

I will describe to you my sorrow for you in minutest detail.

That I will describe to you my sorrow for you in minutest detail.

That I may behold your cheek, like the zephyr I have visited

house by house, door by door, lane by lane, street by street.

Through separation from you my heart’s blood is flowing from my eyes

river by river, sea by sea, fountain by fountain, stream by stream.

My sorrowful heart wove your love into the fabric of my soul

thread by thread, thrum by thrum, warp by warp, woof by woof.

Tahira repaired to her own heart, and saw none but you

page by page, fold by fold, veil by veil, curtain by curtain.

The ardor and passion of these anguished lovers

cast fresh commotions into my soul ;

ancient problems reared their heads

and made assault upon my mind.

The ocean of my thought was wholly agitated ;

its shore was devastated by the might of the tempest.

Rumi said, ‘Do not lose any time,

you who desire the resolution of every knot ;

for long you have been a prisoner in your own thoughts,

now pour this tumult out of your breast !


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