Jalal Alavinia
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Shahrnoush Parsipour

Femmes sans hommes

vendredi 4 mai 2007, par Collectif LP



Shahrnush Parsipur, née à Téhéran en 1946, fait ses études en sociologie à l’université de Téhéran et écrit des nouvelles dès l’âge de 16 ans. Elle publie son premier roman, Le chien et le long hiver, à l’age de 28 ans et la même année démissionne de son poste de productrice au sein de la Télévision Nationale Iranienne pour protester contre la torture et l’exécution de deux journalistes et écrivains par la police secrète du Shah. Après avoir passé quelques mois dans les prisons du régime, elle quitte l’Iran pour la France où elle étudie la philosophie chinoise et écrit, en 1977, son deuxième roman, Aventures simples de l’esprit d’un arbre.

Elle retourne en Iran après la révolution et en raison d’un simple malentendu se trouve de nouveau en prison, cette fois pour quatre ans… Plus tard elle publie ses mémoires de prison, en partie reprises dans l’ouvrage de Chahla Chafiq sur la prison politique en Iran. A peine sortie de la prison, elle publie son troisième roman, Toubâ et le sens de la nuit, qui connaît un grand succès et qui est traduit en allemand, en italien et en anglais. Ensuite, elle publie son quatrième roman, Femmes sans hommes, qui lui apporte une notoriété plus importante, des ennuis avec les autorités, et l’interdiction totale de ses ouvrages en Iran. Ce livre est aussi traduit en plusieurs langues et maintenant grâce à Christophe Balaÿ est disponible en traduction française.

En 1992, elle commence une tournée littéraire en Amérique du Nord et en Europe, et après une brève visite en Iran, elle s’exile définitivement aux Etats-Unis. Depuis, elle continue à écrire et à publier, notamment ses mémoires de prison, Shiva, Sur les ailes du vent et un dernier roman, La raison bleue. Elle mène une vie très active en tant que romancière, essayiste et critique littéraire et a reçu plusieurs prix littéraires. En 2005, elle a joué dans le deuxième épisode du film de Shirin Neshat, Zarin, une adaptation cinématographique en cinq épisodes de son roman Femmes Sans hommes.

Vie et œuvre de Shahrnoush Parsipour

Par Christophe Balaÿ

La carrière de Shahrnush Parsipur, comme celle de toutes les romancières, de tous les écrivains et artistes, croise deux lignes directrices, l’une personnelle, un itinéraire original, une vie bien à elle, l’autre publique et, disons, universelle, celle du temps et de l’espace dans lesquels la romancière se mêle à ses contemporains, partage avec eux les grands événements de l’histoire, celle de l’Iran et du monde, celle des grands mouvements sociopolitiques et culturels qui ont clos le XX° et ouvert le XXI° siècle, celle aussi de la littérature persane moderne et de la littérature mondiale, celle du roman persan à laquelle les Iraniennes ont contribué de façon magistrale au tournant des deux siècles.

Parmi les romancières et romanciers d’Iran, Shahrnush Parsipur occupe une place éminente et particulière : elle est au nombre de ceux et celles qui, en prose persane moderne, se sont consacrés, sinon exclusivement, du moins essentiellement au genre romanesque. En ce sens, il est loisible d’affirmer qu’ils adhèrent étroitement à l’évolution actuelle du système culturel iranien et en particulier à sa littérature. Par le choix de ce genre littéraire, de préférence à la nouvelle, plus étroitement liée à la tradition narrative persane, ils témoignent plus que d’autres de l’expression de la modernité dont le roman est en quelque sorte le symbole le plus éloquent à la fin du XX° siècle.

Comme l’écrit Hasan Mir-Abedini dans le troisième volume de Cent ans d’écriture narrative en Iran , le monde vu par les femmes et non plus seulement par les hommes, voilà le phénomène radicalement nouveau en littérature persane. Rezâ Barâheni, avec son intuition habituelle, l’avait déjà laissé pressentir dans son essai Masculine history en posant le problème de ce regard de l’écrivain. La génération de Shahrnush Parsipur fait carrément éclater le modèle socioculturel. Les femmes sortent du cadre qu’on leur avait fabriqué pour se construire une vision indépendante, en bravant l’incompréhension, voire le rejet (et à certaines époques, subissant la violence masculine). L’histoire de l’écriture féminine est donc celle d’une conquête identitaire et d’une affirmation individuelle.

De ce travail d’écriture sort une nouvelle image de la femme, différente à bien des égards de celle qu’avait forgé pendant des siècles la littérature masculine. C’est dans la recherche de ce nouveau statut que s’inscrit le projet d’écriture de Shahrnush Parsipur. Il passe par une participation active et intense aux grands mouvements sociopolitiques du temps, en particulier la révolution. En 1978, Parsipur a trente-deux ans, elle a déjà derrière elle une première partie de sa carrière littéraire et de sa notoriété.

Mir-Abedini analyse le phénomène de l’émergence de la femme dans la culture et la littérature persanes modernes comme le croisement de deux facteurs : la réception et la production des textes. La femme est la principale lectrice des romans ; elle devient aussi une actrice incontournable dans la production de ceux-ci. La lecture des romans, pour reprendre un motif cher à une autre romancière, Zoya Pirzad, est une fenêtre ouverte sur le monde, un appel à la liberté. A plus large échelle, c’est d’émancipation des femmes qu’il est question. L’émergence des femmes dans l’espace public amène celles-ci à remettre en question les rôles et l’image qui leur étaient jusqu’ici attribués. Par sa personnalité, sa très grande conscience de son rôle de femme-écrivain, Shahrnush Parsipur est une actrice de premier plan dans le grand jeu de l’histoire contemporaine de l’Iran. Elle portera la responsabilité, en subira les chocs, y connaîtra les humiliations, les violences , mais aussi les victoires que sa plume remporte sur les forces de l’obscurantisme.

Parsipour est vraiment une femme des « lumières », au sens qu’avait ce mot au XVIII° siècle en France. C’est tout à fait l’image qu’elle donne d’elle-même dans les articles qui sont réédités dans Prendre le thé avec le loup . Shahrnoush Parsipour introduit sa brève biographie par une déclaration sur le droit d’écrire et le caractère public de la vie de l’écrivain, sur le droit qu’ont les gens de connaître la vie de l’auteur.

Elle est née, écrit-elle, avec la fin de la deuxième guerre mondiale alors que les Américains bombardaient Hiroshima et Nagasaki. Elle note une série de petits faits –petits en apparence seulement - qui émaillent son enfance et sa jeunesse. Par exemple, le docteur qui l’a mise au monde était juif et avait émigré ensuite au Canada. Celui qui l’avait sauvé d’une pneumonie quand elle avait six mois était communiste et il l’avait soignée quasi gratis eu égard à la modeste situation de son père, simple fonctionnaire.

Elle note aussi la diversité de son origine familiale à la fois turque, persane, tatare et indienne. Elle rapporte l’engagement de son grand-père aux côtés du mouvement de révolte Tangestâni et l’amour de la famille pour l’Allemagne et la langue allemande. Elle y ajoutera plus tard l’anglais (sa jeunesse se déroule pendant la période d’ « américanisation » de l’Iran. Elle décrit les progrès de la modernité dans l’environnement domestique, le rôle que jouèrent sa grand-mère, la maison familiale, la maison des sortilèges. « C’est peut-être à cause de cette maison que j’écris », avoue-t-elle . La jeune fille grandit avec les grands événements de l’Iran et du monde : la crise Mosaddeq, la guerre d’Algérie et l’indépendance, la crise cubaine, la guerre américaine au Vietnam. La montée de la révolte en Iran et l’opposition au régime impérial.

Pendant toutes ces années de jeunesse et d’apprentissage, la future romancière interroge son itinéraire intellectuel et spirituel, depuis la ferveur pieuse acquise auprès de sa grand-mère jusqu’à la découverte de la philosophie ancienne et moderne, les sophistes, la pensée grecque puis Sartre et Simone de Beauvoir.

Dès son adolescence elle se montre différente, curieuse, consciente de son rôle et de sa place dans sa génération et dans son environnement social et culturel. Elle avoue sa fascination pour l’Occident à travers lequel elle apprend le monde comme le reste de sa génération. Elle sait qu’elle veut devenir écrivain, mais, dit-elle, « elle ne saurait nommer ses personnages, car elle ignore comment vivent ses compatriotes ».

Comme toute sa génération, Shahrnush Parsipur découvre l’engagement politique mais à la différence de bien d’autres, elle fait aussi l’expérience du doute philosophique, elle observe la montée en puissance de la pensée marxiste mais sa quête intellectuelle la pousse plus loin, ou bien vers la marge, à la recherche d’une culture de soi et de l’autre. Elle fait des études de sociologie et d’anthropologie. Elle explore la pensée extrême-orientale (chinoise). Elle fait l’expérience d’un vrai humanisme qui marquera l’ensemble de sa pensée et de son œuvre littéraire. « Je témoigne, écrit-elle encore, que j’ai rencontré un être humain qui est demeuré humain sous les coups les plus terribles. C’est pourquoi je crois en la noblesse de l’humain, au sens ordinaire de ce terme. » . C’est pour répondre à cet idéal humaniste que Shahrnush Parsipur s’est fait un devoir d’écrire depuis sa toute jeunesse.

On ne peut prétendre faire ici le tour d’une œuvre très vaste. Citons son premier récit, pour la jeunesse : Le ballon rouge et son premier grand roman, Le chien et le long hiver , qui aborde la question de l’engagement politique et paraît l’année où Parsipur fait son premier séjour en prison. Ainsi s’égrènent plus de quinze titres, quelques recueils de nouvelles et surtout des romans. Citons son roman Touba et le sens de la nuit qui obtint un grand succès après la révolution. Il croise le thème de l’engagement avec celui du rôle de la femme dans l’histoire sociale et celui de la voie mystique comme alternative possible au conflit de l’individu et de la société. Citons enfin La raison bleue , roman publié après la fin de la guerre contre l’Irak, qui pose à nouveau la question du rôle de la femme mais plus encore celle d’un équilibre improbable entre les sexes. Cette production littéraire est régulière jusqu’à aujourd’hui, elle fait de Parsipur un des auteurs majeurs de sa génération.

L’ensemble de l’œuvre de Parsipur met au centre de la réflexion la question de la femme, de sa place, de son rôle, de sa nouvelle image. Plus encore, elle donne la voix aux femmes d’Iran, dans une société encore bien masculine.

Son roman Femmes sans hommes, le deuxième dans son œuvre romanesque, est l’écho très fidèle de cet engagement. Le récit est composé de plusieurs histoires de femmes qui se croisent en un point central : le jardin de Farrokh Laghâ, supposé devenir un paradis sur terre libéré de la présence d’Adam. Ces cinq femmes ont connu des destins fort différents, ont fait aussi des choix bien distincts. Aucune unité sociale, intellectuelle, culturelle ou même spirituelle ne les relie entre elles si ce n’est ce refus quasi viscéral de la domination masculine.

Le petit monde de femmes sans hommes est-il vraiment viable et durable ? C’est ce que les cinq femmes apprendront à connaître. Dans cette fiction, Parsipur explore, non sans un humour grinçant qui caractérise la plupart de ses œuvres, le monde de l’utopie. Femmes sans hommes, écrit comme un conte philosophique, publié dix ans après la révolution islamique, offre à la société iranienne une image d’elle-même cruelle mais non désespérée. Après avoir obtenu sa libération, la femme devra bien, c’est ce que Farrokh Laghâ constate non sans quelque amertume, composer avec l’homme, trouver la voie de la réconciliation, passer un accord, établir un contrat.

Le désenchantement qui colore la fin de l’expérience de Femmes sans hommes est sans doute la marque de la modernité et presque son dépassement.

Extraits des de la préface de Christophe Balaÿ

Femmes sans Hommes


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