Jalal Alavinia
Accueil du site > Editions > Auteurs > Nima Yushidj > Nima - repères biographiques > Présentation de Parviz Khazraï

Nima Yushidj

Présentation de Parviz Khazraï

vendredi 4 mai 2007, par Collectif LP



Présentation Parviz Khazraï

En 1946, Nimâ Youshidj fait un bref résumé de sa vie, en parlant de son enfance, de sa famille et de son œuvre. Il écrit :

« En 1897, Ebrâhim Nouri – homme brave et colérique – appartenait à une très vieille famille du nord de l’Iran. Je suis son fils aîné. Mon père menait une vie d’éleveur et d’agriculteur dans cette région. En automne de cette même année, alors qu’il habitait à Yoush, son village natal et sa résidence d’été, je vins au monde. Du côté de ma mère, je descends d’ancêtres géorgiens qui avaient été chassés de leur pays et qui vivaient depuis longtemps sur ces terres.

Les toutes premières années de ma vie se sont passées au milieu des bergers et des peuplades qui transhumaient sans cesse à la recherche de pâturages et qui, dans les hautes montagnes, se groupaient autour du feu pendant de longues heures.

J’ai appris à lire et à écrire dans mon village natal et auprès du mollah du village. Il me poursuivait dans les allées pour me torturer. Il me ligotait aux arbres ou aux taillis piquants, me fouettait avec de longues branches et m’obligeait à apprendre par coeur les lettres que lui-même écrivait pour les villageois et, en les collant l’une après l’autre, m’avait préparé un interminable rouleau.

Mais enfin, l’année où je suis venu en ville, un de nos proches m’a envoyé, avec mon frère cadet Lâdan, dans une école catholique. A cette époque, cet établissement qui était situé à Téhéran, portait le nom d’Ecole Supérieure Saint-Louis. Mes véritables études ont commencé là et j’y ai passé mes premières années à me bagarrer avec d’autres enfants.…

La connaissance d’une langue étrangère m’ouvrait de nouveaux horizons. Le fruit de mes premières recherches, après avoir quitté l’école et pendant la période de mes amours, est peut-être perceptible dans mon long poème « Afsâneh » (conte féerique) Un extrait de ce poème fut publié dans le journal de Mirzâdeh Echghi, mon ami poète assassiné en martyr. Mais avant cela, j’avais déjà publié un autre long poème intitulé « L’Histoire exsangue ». Je n’en avais pas publié d’autre avant celui-ci.

En automne 1922, un nouveau style apparut dans le travail que je présentais dans l’hebdomadaire « No-Bahâr » (Nouveau Printemps). Il s’agit du poème « Ô nuit ! » qui avait déjà circulé de la main à la main. Le style de chacun de mes ouvrages, surtout à cette époque-là, était une flèche empoisonnée lancée vers les partisans de l’ancienne école. Pour ces derniers, ce genre de poésie n’était nullement publiable. Cependant, en 1925, dans une anthologie de poètes contemporains, de nombreuses pages sont consacrées à ma poésie. Etrangement même, mon premier long poème, « L’Histoire exsangue », qui faisait partie de mes œuvres de jeunesse, se trouvait parmi ceux d’éminents poètes barbus et moustachus, et ceci les rendait fous de rage contre moi et le respectable auteur de l’anthologie, Monsieur Hachtroudi-zâdeh. On aurait dit que ma nature d’homme élevé dans une sauvage liberté, m’obligeait à avoir, à chaque époque de ma vie, des rivaux féroces en face de moi.

Dans ma poésie libre, la rime et la métrique ont une règle bien différente. Le caprice et la fantaisie n’ont rien à voir dans mes choix quand il s’agit de la longueur ou de la brièveté des vers. Ma poésie parle de mes souffrances. Formes, mots, rythme et rime ont été pour moi, depuis toujours, des outils que j’étais souvent dans l’obligation de changer afin qu’ils s’adaptent au mieux à mes souffrances ainsi qu’à celles des autres. Dans ma vie privée, j’ai aussi beaucoup de contraintes : comme je ne suis pas trop mauvais dans les tâches de la femme au foyer, de berger, etc., je ne trouve pas assez de temps pour mettre mes écrits au propre. Mes poèmes arrivent de façon irrégulière jusqu’aux lecteurs iraniens ou jusqu’à quelques linguistes étrangers. C’est seulement depuis 1938 que je suis devenu membre de la rédaction littéraire de la « Revue de la Musique » et, grâce au soutien de mes amis, j’y publie régulièrement ma poésie.

J’ai beaucoup d’opposants. J’ai compris les choses jour après jour, les gens doivent les comprendre aussi de la même manière. Cette évolution progressive est une des caractéristiques de mon travail. Ce n’est pas étonnant si certains de mes poèmes, qui sont particuliers à mon école, restent ambigus pour ceux qui ne sont pas suffisamment initiés à l’art de la poésie. Mais il y a plusieurs genres dans ma poésie. J’ai même un recueil de poèmes dans ma langue régionale, intitulé « Roudjâ ». On peut dire que je ressemble à un fleuve où l’on peut prendre tranquillement de l’eau à différents endroits de sa course. Mais ce n’est pas très élégant de parler de mes histoires écrites en vers et qui ne sont pas encore entre les mains des gens ! »

Nimâ est un homme de foi au sens large du mot. C’est un être à la recherche de la transparence et de la pureté. Pour lui, écrire de la poésie sans atteindre à la pureté et à la transparence absolue de l’âme, est une chose inimaginable. Il faut être capable de voir l’invisible, de sentir ce qui se passe au bout du monde et de savoir entendre battre les ailes d’un papillon sur un continent lointain.

Dans une de ses lettres à un personnage imaginaire, qui paraîtra plus tard sous forme de livre, « Les dits du voisin », il écrit :

« Mon cher ! Dans tes solitudes intimes, trouves-tu la pureté et la transparence nécessaires ? Vois-tu les choses invisibles ? Quand tu en as envie, peux-tu avoir à tes côtés les gens que tu veux ? Le coin de ta chambre se transforme-t-il en paysage de mer ? Entends-tu toutes les voix que tu voudrais entendre ? Te vois-tu mort et, après des années, peux-tu imaginer qu’un jeune homme qui n’est pas encore conçu est en train d’écrire à ton sujet ? Quand tu ressentiras tout cela, quand ta chambre pourra contenir le monde entier, n’aie pas de doute sur la pureté et la transparence de ta solitude. Sinon, sache que ta solitude n’est qu’apparente. Tu es alors comme un marchand qui s’enferme pour compter ses sous... »

Ou encore, dans une autre lettre, il écrit à son voisin :

« Mon cher ! il faut que tu puisses te mettre à la place d’une pierre et ressentir ce que t’ont fait, pendant des siècles, les tempêtes de la terre... Il faut que tu puisses devenir un verre de vin qui tombe et se casse, il faut que tu puisses te sentir brisé comme ce verre.

Il faut que tu puisses voyager dans le passé de l’homme et y fouiller ; que tu puisses pénétrer dans les tombes des morts, dans les ruines abandonnées et les déserts lointains pour y pousser des cris de douleur. Il te faut aussi t’asseoir dans un coin et garder le silence pendant des heures... Avant d’arriver à tout cela, tu n’es arrivé à rien. »

Nimâ a beaucoup lu et connaît bien les mouvements littéraires dans le monde. Et il recommande vivement à son voisin :

« Lisez ! Je répète encore et encore : lisez ! Rien ne nous sauve sinon de lire... Plus qu’on ne pense, notre nation a besoin de lire. »

La poésie est sacrée chez Nimâ et le poète est un saint homme qui ne cesse de marcher sur son chemin de pèlerin :

« Travaillez dur et soyez patient ! Même si la poésie vous apporte nom et gloire, ne faites pas d’elle votre moyen d’existence. Au moment où vous cherchez à satisfaire la masse, vous avez déjà commencé à descendre... Dites vos poèmes pour vous-même et vos semblables... Je suis très triste d’en avoir donné quelques-uns aux journaux qui les ont publiés, et, comme d’habitude, ont dit quelques banalités sur leur valeur. Depuis, c’est comme si j’avais une grosse épine dans le pied. C’est comme si mes chaussures s’étaient alourdies de boue et m’empêchaient de marcher... »

Mais, bien entendu, il exagère un peu, car il veut faire entendre sa voix comme le fait un saint homme qui vit pour faire entendre la voix de sa foi. D’autant plus que, dès son plus jeune âge, il s’est donné la tâche de secouer les esprits, si bien qu’un jour, il va écrire :

« Avec ma poésie, je fais naître une bataille, une mêlée de bons et de mauvais. Je me tiens à l’écart et j’observe ces fourmis dont j’ai inondé la fourmilière. »

En quoi, excepté en apparence, la poésie de Nimâ Youshidj se distingue-t-elle des autres formes de poésie ? Il ne suffit pas de différencier la longueur des vers pour devenir un vrai poète moderne. Parmi les anciens poètes du monde, nombreux sont ceux qui, ayant une connaissance profonde de la nature humaine, peuvent être considérés, encore aujourd’hui comme modernes, et on peut être assuré que leur poésie demeurera universelle.

Nimâ est un grand observateur. Il est né et a grandi dans la montagne. Il connaît bien les crêtes, les vallées, les saisons, la terre, l’eau et le ciel. Tous les éléments de la nature sont en lui et il les utilise majestueusement dans sa poésie. La nature a toujours été très présente dans la poésie persane, mais Nimâ efface de sa poésie les images-clichés comme celles que l’on trouve dans les miniatures persanes ; il les remplace par la représentation d’une nature vivante, palpitante, pleine d’ombres, de lumière et de bruits. Il crée des tableaux fantastiques où chaque élément, chaque créature, chaque souffle vibre et pénètre. Nimâ Youshidj et la nature font un et parlent d’une même voix. Il est surtout maître, peintre et sculpteur de la nuit. Avant lui, dans la poésie persane, personne n’a décrit la nuit, ses splendeurs et ses mystères avec autant de sensibilité et d’imagination, excepté l’immense Ferdossi dans son « Livre des Rois ».

Nimâ Youshidj est un ami de l’homme dont le destin l’habite et l’intéresse passionnément. C’est un véritable amoureux universel qui s’inquiète pour tous les êtres, qui souffre avec eux, rit avec eux, et crie leur révolte avec eux. C’est un homme qui a vingt ans quand le premier état socialiste s’établit en Russie, sur l’autre rivage de la mer Caspienne, et il n’y est pas indifférent. Dans sa famille, un peu plus tard, son frère cadet, Lâdbon, communiste traqué en Iran, se réfugie en Union Soviétique et y disparaîtra plus tard. Mais Nimâ n’adhère jamais à aucun parti. Il est toujours à la recherche de l’homme juste et de la société idéale. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’un véritable artiste, surtout celui dont l’outil est la parole, doit rester libre et en dehors des dogmes, car l’idéal se place toujours dans l’avenir, tandis qu’une idéologie est fixe, invariable, et ne se situe qu’ici et maintenant. Nimâ Youshidj est donc porteur d’un amour illimité pour tous ceux qui souffrent et rugissent éternellement, et de leur révolte.

Nimâ, pour exprimer les souffrances et les révoltes des hommes, crée un univers avec ses symboles et ses métaphores. Une fois ces clés en main, n’importe quel individu de notre planète peut y entrer et s’y trouver avec ses peines et ses joies. La nuit, très souvent, est un élément néfaste, un environnement malsain qui s’impose et qu’il faut subir. « Le coq », avec son chant, annonce la bonne nouvelle de l’arrivée du « soleil », qui illumine et réchauffe la vie. Par contre, la « chouette », comme dans beaucoup de civilisations, est un signe de malheur, et ainsi de suite... Finalement, ces symboles et métaphores sont presque universels. Seulement, Nimâ Youshidj arrive à construire avec ceux-ci des ambiances fortes, d’une architecture solide et esthétique. Il travaille énormément sur ses idées poétiques en les habillant d’aspects sociaux et en les moulant dans une forme appropriée. Il y réussit assez souvent. Nimâ Youshidj a proposé de nouvelles techniques dans la poésie moderne iranienne. Mais quelles sont ces techniques ?

Il écrit à son voisin :

« C’est le mois de juin. Assis au bord de la piscine, je regarde les ondes courtes et longues. Quelle souffrance quand on voit un poème dans chaque chose, quand on trouve un rapport ou une ressemblance entre toutes choses. Cela donne le vertige...

On dirait que la piscine parle. Les ondes sont ses phrases qui, selon la situation, le sens ou la valeur, prennent des formes courtes ou longues.

Ce qu’elle dit, la piscine, me rappelle la façon dont j’écris mes poèmes. Oui , mon cher, ce qui importe c’est que je veux créer un système, une forme naturelle dans la poésie. En réalité, dans ma poésie, la forme n’est que la synthèse inévitable des thèses et des antithèses. Normalement, à la question courte « Pourquoi te boude-t-il ? » ou « Pourquoi ne veut-il pas te voir ? », la réponse est plus longue que la question : « Parce que, avant de partir en voyage, j’avais fait mes adieux à tout le monde, sauf à lui, que j’avais oublié. » C’est la même chose quand il s’agit de la longueur des vers dans la poésie... »

Et, ailleurs, il insiste :

« Je répète, notre littérature doit subir un changement fondamental. Pour obtenir de nouvelles formes efficaces, il ne suffit pas de proposer de nouveaux sujets, ni de développer les choses autrement, ni de changer la syntaxe ou la longueur des vers, ni de chercher d’autres artifices. Il faut changer la méthode de travail, il faut créer un modèle narratif et expressif qui soit en accord avec l’univers et l’esprit de l’homme... Il faut qu’un poème soit bon à déclamer... »

En résumé, il ne suffit pas de changer le regard, il faut aussi changer la façon d’exprimer ce regard. Normalement, lorsque la démarche et l’approche changent, la forme doit changer aussi.

Nimâ Youshidj divise la poésie persane en trois périodes : période du système musical, période du système à métrique rigoureuse qui est liée à la première, et période du système naturel. C’est dans ce dernier qu’il se considère comme pionnier. Il se veut celui qui va séparer le rythme poétique de la musique persane. Il dit :

« Notre musique est subjective, et la métrique de notre poésie, en obéissant aux règles de cette musique, est devenue, évidemment, subjective. Elle ne peut donc pas être utile aux narrations objectives qui sont essentielles à la littérature d’aujourd’hui. Cela, bien entendu, n’empêche pas que l’ancienne versification garde la beauté et le charme de son genre... »

A propos de la rime, Nimâ parle de la sonnerie d’une cloche qui annonce la fin d’une idée, d’une image. C’est une sonnerie qui doit faire résonner le sens d’une idée. En poésie, la rime a été introduite après le rythme et, manifestement, en était dépendante. Cette ancienne façon de rimer ne s’accorde donc pas au sentiment et au but de Nimâ. Selon lui, la vraie rime commence avec sa propre poésie, dans laquelle la rime n’a pas seulement une fonction musicale, très souvent artificielle, mais elle est plutôt porteuse d’une agréable sonorité qui doit jouer le rôle d’un point-virgule ou d’un point final.

Nimâ Youshidj est une des rares personnes, pour son époque et en Iran, qui a minutieusement étudié l’histoire de l’art plastique, de la musique, de la philosophie, de la littérature et de la poésie de l’Iran et du monde. Il a une connaissance profonde des écoles et des mouvements de chaque siècle, et surtout en Europe car la plupart des mouvements ont été créés sur ce continent depuis la Renaissance. Il cherche aussi la raison d’être de chaque courant, laquelle est liée aux conditions politiques, sociales et économiques.

Nimâ a écrit une série d’articles, parus d’abord dans la « Revue de la Musique » en 1938 et 1939, puis dans un livre, en 1955, livre intitulé : « La valeur des sentiments ». Dans un de ces articles, il dit :

« Les artistes habiles et intelligents sont les vrais et les fidèles représentants de chaque ère historique. Ils sont les horloges qui donnent l’heure exacte de leur époque. »

Puis il fait une analyse judicieuse du langage et du style, de la forme et de l’architecture, de la musicalité et du contenu de la poésie persane, ainsi que des rapports directs entre les conditions matérielles et la dominance spirituelle de chaque période sur cette poésie. Mais il parle aussi de la réalité d’une « Ecole Orientale », liée plutôt à une vieille culture et une vieille civilisation, école dont la poésie persane fait partie et qui , dans n’importe quelle situation sociale et historique, se distingue par une certaine finesse et un certain langage codé et symbolique.

Nimâ Youshidj est très sensible à l’art expressionniste et futuriste en Europe. Il admire aussi Emile Zola qui, selon lui, est le premier écrivain qui ait construit, sur le cimetière de la littérature romantique, un style très dynamique, nourri de vrais éléments et de vrais comportements humains. Il apprécie l’art de la scénographie et de la mise en scène dans l’Italie du début du siècle, dans lesquelles on utilise davantage la machinerie moderne pour créer des expressions et des ambiances plus fortes, mieux adaptées à la vie contemporaine. Il connaît la poésie de Whalt Whitman qui, vivant aux Etats-Unis et loin des traditions et des contraintes du Vieux Continent concernant les règles métriques et la rime symétrique, se libère enfin de toutes ces chaînes et invente sa poésie libre, portant plus tard le nom de « poésie blanche ». Nimâ admet donc que ce n’est pas lui le vrai innovateur de la poésie moderne en Iran. Ce sont ses partisans ardents qui, ne maîtrisant pas bien l’histoire de la littérature mondiale, lui attribuent ce titre. Par contre, et malgré la pression de beaucoup de poètes traditionalistes, Nimâ Youshidj décide de vivre le vingtième siècle comme un homme de progrès et un artiste responsable. Il veut vivre son époque dans un Iran encore fidèle à son passé prestigieux, mais qui ne peut s’adapter à ce brutal changement d’époque. Il dit quelque part :

« Pour moi, vivre en Iran ou ailleurs, cela n’a aucune importance car le monde est ma maison. »

Et c’est pour cela que, dans la plupart de ses poèmes, on a l’impression qu’il s’adresse à l’humanité entière, que l’Homme est le seul centre d’intérêt de tous ses propos. C’est là que je trouve la force de Nimâ Youshidj et la valeur de sa poésie.

Nimâ s’enthousiasme non seulement pour les poètes français comme Alfred de Vigny, Stéphane Mallarmé et beaucoup d’autres, mais aussi pour le style et les sujets pratiqués par le poète belge Emile Verhaeren et le romancier japonais Akutagawa. Verhaeren surtout l’attire par sa recherche de la beauté poétique du monde moderne et par la célébration, dans ses œuvres, de la grandeur des efforts humains. Nimâ partage avec lui son socialisme fraternel et l’admire quand il se dresse contre l’école de l’esthétisme de Ruskin et qu’il élabore un style nouveau pour pouvoir mieux écrire l’histoire de l’homme de son époque. Ces poètes ont eu le courage de ne pas reprendre les sentiers suivis pendant des siècles par leurs prédécesseurs. Car Nimâ croit que :

« Ceux qui continuent à marcher sur ces chemins sont des gens déjà épuisés et stagnants. Ce n’est pas la bonne manière de marcher, c’est une façon de se précipiter vers la tombe. Ces gens ne sont que des gardiens de cimetières. Ils sentent le cadavre...Mais des mains plus jeunes et plus fortes vont les anéantir. Ils sont comme des poussières posées sur des ruines et qui, au moindre vent, vont être balayées. Ils ne peuvent même pas résister comme ces ruines. »

Bien entendu, il est parfois très violent dans ses propos, mais il est ainsi !

Dans le livre « Les dits du voisin », il s’adresse à son « ami » imaginaire et écrit :

« Vous me demandez, à propos de la poésie, comment écrivent nos contemporains ? Je dis très brièvement : c’est le langage des revenants qu’ils utilisent. »

Et, un peu plus loin, il ajoute :

« Nous sommes arrivés à une époque où la poésie est morte, le chemin des anciens est devenu très étroit et touche à sa fin. Nous sommes à présent face à un mur. Si vous êtes vraiment quelqu’un, il faut commencer à travailler maintenant. Il ne faut pas se laisser envahir par le doute. Mettez beaucoup de mouchoirs dans la poche pour protéger votre nez des mauvaises odeurs. Faites attention sur la route de ne pas enfoncer votre pied dans les entrailles pourries d’un cadavre...

Vous allez entendre des bruits étranges dans le noir : les bruits des os qui s’entassent. Mais il ne faut pas arrêter votre marche. Souvenez-vous bien comment vos contemporains disent la poésie : comme des revenants. »

Et il a beaucoup fait pour que cette poésie se réveille, pour qu’elle revienne à la vie et prenne un nouvel élan.

Nimâ Youshidj restera le vrai père de la poésie moderne en Iran. C’est un grand poète, avec une immense imagination, qui a fait des recherches et des expériences très diverses. Il reste aussi, jusqu’à la fin de sa vie, un théoricien qui ne cesse de perfectionner ses idées. Mais il tombe parfois dans ses propres pièges et devient l’esclave des règles et des formes qu’il invente. Et, au bout du compte, enfermé dans ses formules, il n’arrive pas toujours à se libérer complètement et à atteindre la poésie naturelle, qu’il admire tant, poésie forgée dans un langage limpide. Il est parfois en contradiction avec lui-même et, finalement, n’échappe pas à un certain formalisme.

Mais ceci ne diminue en rien son grand talent de poète, son immense soif pour la modernité ni la valeur de son œuvre colossale qu’il laisse en héritage aux futures générations. Il faut dire aussi que sans son audace et sans sa foi prophétique, il n’aurait pas pu supporter le mépris et les ricanements de tous ceux qui le prenaient pour un fou ou pour un poète raté. La noblesse de son idéal, son regard humain sur l’univers et, surtout, sa voix rugissante, ont traversé une nuit profonde pour nous secouer et nous sortir d’un sommeil encore plus profond. Nous sommes donc tous les enfants spirituels de Nimâ Youshidj, chacun de nous portant en soi un ou plusieurs aspects de son gigantesque travail.

Après Nimâ Youshidj, la poésie contemporaine de la vieille Perse a connu des hauts et des bas. Mais c’est la première et la deuxième générations après Nimâ qui produiront une gamme de poètes très riches et imaginatifs, mais, heureusement bien différents en style et en pensée. Tels sont Mehdi Akhavân Saless, Nader Nader-Pour, Sohrâb Sépéhri, Ahmad Shâmlou, Frough Farrokh-Zâd, Mahmoud Azâd, Nosrat Rahmâni, Esmaïl Khoï, etc.

Un dernier mot : bien que Nimâ Youshidj soit le poète le plus connu et le plus controversé de l’Iran du vingtième siècle, son travail, malheureusement, n’a pas été véritablement étudié de façon méthodique, du moins à ma connaissance. La voie est donc libre...



Nimâ Youshidj

Biobibliographie

1897 – né le 11novembre au village de Yoush, dans la région de Mazandarân au nord de l’Iran.

1917 – diplômé de l’Ecole Supérieure Saint-Louis à Téhéran.

1919 – employé au Ministère des Finances.

1920 – publication de « L’Histoire exsangue », à compte d’auteur, à Téhéran.

1921 – publication d’un extrait du long poème « Afsâneh » (conte) dans le journal « XXème Siècle », dirigé par Mir-zâdeh Eshghi, poète révolutionnaire assassiné peu après.

1922 – publication du poème « Ô Nuit ! » dans la revue « Noum-bahâr » (Nouveau Printemps)

1925 – mort de son père (Ebrahim Nouri), mariage avec Alieh Djahânguir, publication du livre « Les Cris » accompagné en préambule du poème « La Famille du Soldat » et de trois autres poèmes.

1927 – séjourne et enseigne dans la petite ville de Bâr-froush où il fréquente les cours de Hâéri, docteur en théologie.

1929 – séjourne et enseigne dans les villes de Rasht, Langaroud et Lahidjân. Ecriture de la nouvelle « Le Mausolée du Saint » et sa publication dans le livre du long poème « Afsâneh ».

1930 – séjourne et enseigne à Astârâ.

1932 – séjour à Téhéran.

1936 – enseignement à l’Ecole Industrielle de Téhéran. Composition du poème « Ghognousse » (phénix).

1937 – membre de la rédaction de « La Revue de la Musique », dirigée par Gholâm-Ali Minbâshiân, avec des collaborateurs comme Sâdegh Hédâyat, Abdol-Hossein Noushin, Mohammad-Zia Hashtroudi…

1943 – composition du poème « La Cloche ».

1945 – participation au premier congrès des écrivains iraniens, organisé par l’Association Culturelle de l’Union Soviétique (Vox) à Téhéran, où il évoque sa vie et ses poèmes.

194 - collaboration avec le mensuel « Mardom » (Le peuple) et publication du poème « Le Roi de la Conquête » dans cette même revue.

1946 – collaboration avec les revues « Le Coq Guerrier » et « Le Désert ».

1949 – publication de la version intégrale du poème « Afsâneh », à l’initiative de Shâmlou et préfacée par ce dernier. Publication de deux lettres : l’une de Nimâ Youshdj à S. Partow (Shâmlou ?) et l’autre de S.Partow à Nimâ Youshdj.

1950 – composition du poème « L’Oiseau d’amen »

1953 – publication de sa biographie et de quelques-uns de ses poèmes à l’initiative de A. Djennati Ataï, dans « Qui et Quoi ? ».

1954 – publication séparée de « La Valeur des Sentiments » et de « Nimâ, sa vie et ses œuvres », toutes deux à l’initiative de A. Djennati Ataï.

1956 – publication de « Manéli » à l’initiative de A. Djennati Ataï.

1958 – le 4 décembre, Nimâ Youshidj s’éteint.

1959 – publication de « Afsâneh » et de quelques quatrains, réunis dans un même livre, sous la direction du docteur Mohammad Moïn et en collaboration avec Djalâl Alé-Ahmad, A. Djennati Ataï et Parviz Daryoush.

1962 – publication d’une anthologie des poèmes de Nimâ Youshidj à l’initiative de Syrous Tâhbâz.

1964 – publication d’un recueil de poèmes de Nimâ Youshidj, portant le titre d’un de ses poèmes : « Mâkh-Oulâ », à l’initiative de Syrous Tâhbâz et sous la direction de Shéraguim Youshidj, fils du poète.

1965 – publication de « Ma Poésie ».

1966 – publication de « La Ville de la nuit, la Ville du jour »

1968 – publication de « Mémentos ».

1969 – publication de « Griffonnages » et de « La Gazelle et les Oiseaux ». 1970 – publication de « Touka dans la Cage », « Le Monde est ma Maison », « Cinquante Lettres de Nimâ Youshidj », « les Lettres de Nimâ à sa femme Alieh », « D’autres Cris et Couleur d’araignée », « Les Ruches brisées » (recueil de nouvelles), « Le Bateau et la Tempête », « L’Eau dans le dortoir des Fourmis », réédition de « La Valeur des Sentiments » suivi de cinq essais sur la poésie et le théâtre.

1972 – réédition de « Manéli » et de « La Maison de Sarivili ».

1973 – publication de « Les histoires » puis de « La famille du soldat ».

1974 – publication de « Une Etoile sur Terre » et de cinquante autres lettres de Nimâ Youshidj.

1977 – réédition de « Afsâneh » précédée de deux préambules par Nimâ Youshidj.

1983 – publication de « Les Lettres de Nimâ Youshidj à... ».

1984 – publication de l’œuvre poétique complète de Nimâ Youshidj.

1988 – publication de « Nimâ Youshidj, notre mémoire » à l’initiative de Syrous Tâhbâz, publication des lettres complètes de Nimâ Youshidj, sous la direction du même Syrous Tâhbâz, publication de « A propos de la Poésie et du travail du poète » de Nimâ Youshidj 1989 – publication de « Anthologie d’œuvres en prose » de Nimâ Youshidj.

1990 – publication des « Œuvres complètes de Nimâ Youshidj, prose et poésies, en persan et en tabari.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette