Jalal Alavinia
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Obeid Zakani

Esquisse biographique

vendredi 9 août 2013, par Collectif LP


Obeid Zakani

Comment rire à la barbe du monde !

Les gens de cœur n’oublieront jamais le nom d’Obeid Car ses paroles subtiles en sont les meilleurs souvenirs

« Nezâmeddin Obeidollah Zakani, nous dit Hamdollah Mostofi l’auteur de L’Histoire Brève, a écrit de beaux poèmes et des traités sans égal. » Obeidollah est le prénom du poète et Obeid son pseudonyme. Il se présente lui-même dans le vers suivant :

« Cruel et infidèle envers les autres, oui ! Mais jamais envers Obeidollah Zâkânï ! »

Nous ne savons pas la date exacte de sa naissance. Il est probablement né vers 1300 de notre ère à Zâkân, un village près de Ghàzvîn, au nord de Téhéran, la capitale de l’Iran d’aujourd’hui. Mais Il est sans doute mort en 1385. Il a été très « cruel et infidèle envers » ses compatriotes ghazvinis, dont il s’amuse énormément, dans son traité de la joie de cœur, à raconter les sottises et les roublardises. Nous prions pour la bénédiction de son âme et nous espérons beaucoup d’indulgence et de clémence de la part de ses lecteurs ghazvinis.

Ses ancêtres appartiennent à la famille des Zakanians, la tribu arabe de Bani Khafadjeh qui avait émigrée dans cette ville et s’y était installée depuis très longtemps. Il n’est pas très tendre non plus avec ses ancêtres arabes et nous regrettons de vous présenter un auteur qui est si ingrat à l’égard de ses parents d’origine arabe. D’ailleurs, il est aussi sévère et grossier envers ses parents et ses enfants d’origine iranienne.

Obeid perd son père très jeune et c’est son oncle, Emâdeddin Ahmad Zâkânï, qui prend en charge son éducation. Il aurait au moins pu être très fier d’avoir reçu une éducation précieuse, car il a connu la gloire et la notoriété auprès des princes et des ministres, mais la science, le savoir et la connaissance sont souvent pour lui synonymes de pauvreté, misère, ruine et endettement. Il est vrai qu’à son époque, c’est ce qui lui est arrivé ainsi qu’à beaucoup d’autres savants d’esprit indépendant et libre.

Il fait ses études à Bagdad pour devenir juriste et quitte sa ville natale très vite pour s’installer à Chiraz, où il aurait passé une bonne partie de sa vie. Il a pratiqué le métier de cadi, juge qui applique la Charia. Donc, on ne peut pas accuser notre auteur d’ignorance ou d’avoir des préjugés à l’égard des ses collègues musulmans. Mais s’il était tombé dans les mains de ces juges « honnêtes et pieux », combien de pot de vin aurait-il eu à payer pour éviter la foudre de leur courroux due à ses calomnies envers eux.

Quand Obeid commence sa carrière littéraire, Hafez de Chiraz, le futur grand poète persan, n’est qu’un petit enfant, et Sa’adi, l’autre grand poète persan, lui aussi de Chiraz, est déjà mort depuis 30 ou 40 ans. Obeid aurait au moins pu être reconnaissant envers son tuteur aîné, Sa’adi, dont il a essayé d’imiter le style littéraire. Mais il est sans pitié et ne trouve rien de plus intéressant à dire sur Sa’adi que de parler de la dureté apparente de son pénis.

Nous ne savons rien de ses relations avec les hommes de lettres de son temps, mais comme il a fréquenté les mêmes courts et les mêmes milieux politiques et sociaux, il a probablement connu et rencontré ces mêmes poètes et écrivains. Issu de la noblesse, Obeid a gravi toutes les échelons du pouvoir judiciaire et politique de son époque. Il a aussi exercé le métier de poète et d’écrivain et a souvent fréquenté dans sa jeunesse les milieux sociopolitiques et littéraires. Quelle est son appréciation de ces milieux de la haute société ? Ses contes, ses traités et ses poèmes à ce propos ressemblent à une Dolce vita fellinienne de la décadence de la vie de l’aristocratie. Mener une vie saine pour un homme de lettre dans ces conditions ne le conduit qu’à la ruine, l’endettement et la misère. C’est le destin qu’il a réellement connu.

Avant de quitter Chiraz pour Bagdad, où il passe ses dernières années dans la pauvreté, Il a vécu quelques temps aussi à Ispahan et à Kermân. Cette dernière ville est la scène où se passe l’histoire du Chat et la souris. C’est probablement le roi de cette province, Amir Mobârezeddin, un tyran assoiffé, qui est représenté par le chat, le protagoniste de son conte. Les rois, les sultans et les califes sont les victimes de ses plus véhémentes critiques satiriques. Talhak, un homme du peuple qui est souvent l’objet de la raillerie et de la moquerie du Sultan Mahmoud, qualifie un plat à base de testicules de mouton que le sultan lui offre, de soupe réservée au harem, et le bât d’un âne que le sultan lui propose de caftan royal.

Comment traite-il les femmes ? N’en parlons pas ! Il est terrible, cet Obeid ! Non seulement il partage les préjugés habituels de sa civilisation, en accusant les femmes d’infidélité, de ruse, etc., mais il se plaint tout le temps des contraintes et des ennuis de la vie conjugale, du mariage et de la famille. Heureusement qu’il est contre la polygamie ! Mais, combien il est agressif envers les « Khatouns », les dames des nobles et des grands de ce monde, qui prennent plusieurs amants à la fois ! Ce qu’on ne peut pas pardonner à Obeid, c’est sa virulente attaque contre les vieilles femmes. Quelle honte, Obeid ! Nous n’avons pas osé traduire ses plaisanteries sur les vieilles femmes. Mais reconnaissons qu’il est très tendre envers les jeunes femmes, mais en dehors du mariage. Pourtant il les qualifie quand même d’une coquetterie trompeuse.

N’oublions pas qu’Obeid, quand il était plus jeune, a écrit l’un des plus beaux poèmes d’amour courtois dans l’histoire de la littérature classique persanes dans lequel il donne une très belle description de l’amour, sensuelle et érotique, mais aussi sublime et mystique. Pour soulager les douleurs éventuelles subies par nos lecteurs sensibles aux grossièretés et brutalités satiriques de notre poète malheureux, nous offrons aux lecteurs la traduction en prose poétique d’un extrait de son chef-d’œuvre, intitulé La geste d’amour. Notre extrait choisi décrit la scène de l’union des amoureux, après les difficultés des premières rencontres :

« … Quand le faucon glorieux aux ailes d’or, s’envola de l’orient vers l’occident, quand le flambeau qui éclairait le monde se dissimula, l’armée de la nuit triompha sur le jour. La mariée de lumière entra dans le sérail et le devoir du voilement incomba à la nuit. Je m’assis, oreille collée à la porte, l’œil rivé sur la route. Soudain à la bonne grâce de la fortune vigilante, elle entra enivrée et joyeuse. Elle dévoila son visage comme le soleil. Je découvris son visage et perdis raison. Je devins un papillon tournant autour de la bougie de son visage. D’une main, elle révéla son visage. De l’autre, elle répandit sa chevelure. Quand l’astre de son visage brilla, la fleur surgit du bourgeon et la lune perça le nuage. Devant sa beauté, la prairie se donnait. Devant sa taille, le cyprès se prosternait. Ma demeure devenait paradis et lumineuse. Elle s’assit et je restai debout en silence, mes yeux fixés sur elle et mon âme évanouie. J’étais comme un patient qui retrouvait sa santé. J’étais un mort qui ressuscitait. Les flammes rejaillissaient de mon cœur, mais brûlaient comme un cierge lointain devant son visage. Lorsque je regardais la bougie de son visage, comme une bougie elle m’enflammait. Ma patience était en fuite, mon cœur égaré, ma langue paralysée, ma force épuisée. Quand les yeux des séditieux se fermaient, et que le clair de lune se déployait partout, nous avons célébré une fête joyeuse et nous avons appelé les musiciens. L’écuyère entra gaie et souriante. Elle apporta du vin et nous invita à partager le plaisir. Le chant du Ney monta au ciel, l’univers entier chantait « à notre ivresse ! » Le monde nous enviait et Vénus n’a jamais oublié cette nuit. L’esprit léger sous l’effet du vin, la coupe de ma pudeur se rétrécissait. Quand elle mit ses anneaux d’or à mes pieds, je posai des baisers de respect sur ses pieds. L’insolence m’incita à m’asseoir en face d’elle et me conduisit à dire des paroles futiles. Je rapportai le récit du corps à l’âme. J’exprimai les plaintes de l’éloignement. Je racontai mes souffrances immenses, je relatai mes blessures renouvelées. Quand elle m’expliqua son cas, j’eus honte et j’abrégeai mon récit. Devant mon état de perdition, elle me regarda d’un oeil plein de tendresse. Perturbée et sollicitant le jugement de son cœur, elle prit la parole et me consola. Elle me fit part de ses heurs et malheurs excusables et me raconta ses griefs encourageants. Chaque fois qu’elle m’accordait une faveur, on dirait qu’elle ressuscitait un mort. Comme c’est réjouissant de parler avec l’aimée ! Comme c’est réjouissant de parler du chagrin ancien avec l’intime compatissante ! L’union avec elle fut l’espoir de ma vie. Cette nuit perdura un an, ce jour dura un mois. Comme c’était agréable cette année, ce mois, cet instant, cet état d’esprit ! »

Obeid, le poète mystique qui a consacré une partie importante de son œuvre littéraire à l’éloge de l’amour, est en même temps un critique très sévère de l’hypocrisie du clergé et aussi des prétendus « soufis ». Son anti-cléricalisme, son opposition à la religion institutionnalisée, et ses rituels, ses attaques contre l’ignorance, l’intolérance et le double langage des Cheikhs, ou les prédicateurs et prêcheurs font de lui une figure majeure de la littérature classique satirique. A part Omar Khayyâm, il est probablement le seul grand écrivain persan à exprimer des opinions aussi radicales sur les questions de la religion. Il a lu et certainement beaucoup apprécié Saadi et Nezami dont il cite plusieurs vers pour cautionner ses idées. Il a essayé d’imiter le style de Saadi, surtout sa prose poétique, et s’inspirer de la poésie sublime et mystique de Nezami, surtout son expression de l’amour courtois, sans pouvoir atteindre la perfection et l’harmonie du style du premier ni accéder à la profondeur et la subtilité du dernier. Rajoutons à cette qualification préliminaire de la poésie d’Obeid Zakani, un dernier élément : l’influence d’Omar Khayyâm sur la pensée de Zakani qui s’exprime dans l’ensemble de son œuvre et surtout dans ses Rubayyat. Mais Zakani reste, au moins dans sa jeunesse toujours un poète mystique et croyant malgré ses critiques sévères à l’égard de la religion institutionnalisée.

Mais l’importance d’Obeid Zakani ne se limite pas à ses talents en tant que satiriste. Sa poésie lyrique qui semble s’inspirer beaucoup de Saadi et Nezami, est peut-être à son tour l’une des sources les plus importantes de la poésie du plus grand poète persan de tous les temps, Hafez de Chiraz. Une étude approfondie est nécessaire pour prouver la justesse de cette thèse, mais nous pensons que au moins à deux niveaux Hafez à été influencé par Obeid : au niveau des thèmes dominants, surtout le thème de l’hypocrisie religieuse et ensuite au niveau du langage, les motifs, les symboles et les expressions. Nous nous contentons ici à quelques allusions à l’influence d’Obeid sur Hafez.

« … Nous sommes les mendiants du la rue de la taverne. Nous ne résidons pas dans le coin calme du mehrab. Nous ne sommes ni en colère contre l’oppression du Temps, ni contre le courroux du firmament. Nous sommes des créatures sincères de Dieu, nous sommes ennemis des faux cheikhs odieux... L’amour est un trésor et le cœur une ruine. L’amour est une bougie et l’âme un papillon. Se promènent dans le désert de l’amour, l’âme stupéfaite et la raison folle. Le sage, tant qu’il n’a pas attrapé la jupe de l’amour, n’arrivera pas à destination. Heureux les mystiques qui tournèrent le dos à ce bas monde… ne mets pas le pied dans le quartier de l’hypocrisie ! Tu ne trouveras pas un seul ami dans ce quartier. Ne vas pas à la confrérie où tu ne trouveras pas que l’hypocrisie… Nous préférons la fête du vin, nous n’apprécions guère la séance du prêche… Méfie toi de ces soufis qui se vêtirent des manteaux de l’hypocrisie et qui sont dépourvus de raison, de savoir et d’intelligence. Buvons le vin des mages en compagnie des mages et ne nous attristons pas pour le sort du monde ! »

« Quelque soit ta religion, sois bienveillant et clément ! L’infidélité et la bonté sont préférables à l’islamisme et la malveillance. »

« Je n’ai que des dettes. J’ai trop de charges et peu d’argent. Le monde est en fête et en réjouissance, soit ! Je n’en connais guère l’histoire… » « Les gens s’amusent et je suis accablé par les dettes. Endetté envers Dieu et envers les hommes, devais-je accomplir mon devoir envers Dieu ou payer mes dettes envers les hommes ? Mes charges sont excessives et mes dettes sont sans fin. Je ne sais pas si je dois me faire du souci pour mes charges ou pour mes dettes…. J’ai des dettes en ville et dans le voisinage. J’ai des dettes dans la rue et dans la maison. Tout le monde essaie d’éviter l’endettement. Moi, je prie pour que Dieu m’aide à m’endetter ! »

« Je quitte la contrée de Chiraz, désormais ma vie sera en danger. Ce départ me brisera forcement le coeur. Je pars en me frappant la tête et en mettant les pieds dans la boue. Je ne sais pas ce qui m’arrivera pendant ce voyage. Parfois je crie comme le rossignol amoureux. Parfois je me déchire le col comme le bourgeon au cœur serré. Si je quitte cette ville, je me briserai. Si je quitte ma rue, je mourrai. Perdu, déçu, sans amie, je quitte Chiraz, ‘Je m’en vais et je regarde en arrière avec regret’… Ô Obeid, ce n’est pas le voyage que je souhaitais faire. C’est le firmament qui m’enchaîne au destin. »

« Me voici tout seul affligé par la misère, privé et libéré de la richesse et du pouvoir. J’ai abandonné ce bas monde et j’y ai renoncé. Je n’ai ni de connaissances ni d’amis. Je suis resté fidèle à mes amis intimes et j’ai l’esprit las des paroles des hypocrites. Je n’ai en tête ni la passion de me glorifier ni le courage de me consacrer à la piété. J’ai le cœur brisé, pourtant même empoisonné, je ne demanderai pas de remède à ces gens minables. »

« Jadis, tous les ans, je recevais des miettes de partout. Quand un ami me rendait visite, j’avais du pain sec et des légumes à offrir. De temps à autre, aussi quand une amie ou un intime venaient, j’avais un peu de vin à offrir. Il ne me reste rien de tout ce que j’avais de sec ou de frais. Il ne reste que moi chez moi et tout ce qui reste ne sert à rien. »

« Il est temps que je prenne une résolution et que je révèle mon incroyance. Il est temps que je séjourne dans le quartier des mages et que je fasse ma prière en me tournant vers le qebleh des Tatares… »

« Je suis ivrogne, joueur et libertin. ‘Je me plains d’avoir cultivé de tels talents. Je souffre de la honte du repentir, du chapelet et de l’hypocrisie, ‘car l’un comme l’autre me rendent triste.’ »


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