Jalal Alavinia
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Forough Farrokhzad : la vie

5. Je m’en vais ...

pour me perdre comme une larme chaude dans les plis de la jupe noire de la vie.

samedi 17 mai 2008, par Collectif LP


Voir en ligne : Ecouter : Je m’en vais...

Elle quitte momentanément son pays et voyage en Europe, en Italie, en Allemagne, pour oublier, se chercher, se connaître, se soigner et se maîtriser, mais surtout pour voir, apprendre et s’épanouir. Car si elle fut « une fleur de joie » dans sa jeunesse, « un bourgeon de tristesse » plus tard, elle reste quand même pendant toute sa vie, courte mais riche en réalisations poétiques, « une fleur assoiffée » d’amour, de vie et de sens.

Notre jeune poétesse n’a que vingt deux ans, quand elle publie son deuxième recueil Le mur… où se trouve son poème le plus controversé, Le péché. Pourquoi ? Parce que c’est une jeune femme qui confesse avoir commis « un péché », avoir fait l’amour avec un homme hors mariage, y perdant sa virginité… un péché donc mais dans le plaisir qu’elle choisit de révéler. Elle parle de ce péché autrement et plusieurs fois dans d’autres poèmes, elle parle de son secret, de sa petite nuit.

Mais l’important ce n’est ni la réaction de la société, surtout des gens pieux, hypocrites et des gardiens de la morale, ni les conditions dans lesquelles ce « péché plein de plaisir » a été commis. Non, ce qui compte pour notre connaissance de la personnalité de Forough et de sa poésie c’est de comprendre le sens de sa démarche.

En parlant d’un événement de sa vie privée, Forough réclame le droit à la parole libre. Elle provoque, elle conteste l’ordre social, et brise les tabous autour de la sexualité.

Dans ce même recueil, Forough écrit l’un des plus beaux poèmes sur les rapports complexes entre les hommes et les femmes : Le mur… Le regard de l’homme, ses yeux sauvages rendent obscurs les chemins de la femme et construisent un mur autour d’elle. Même si elle ne peut se passer de l’homme qui de son seul regard continue de construire un mur de contraintes autour d’elle, elle le fuit pour s’épanouir, pour devenir heureuse et libre : elle a besoin de regarder le monde de ses propres yeux.

Un an plus tard, en 1956, Forough publie son troisième recueil : La rébellion, qui marque la fin de la première période de sa vie professionnelle et artistique. De 1956 à 1963, pendant sept ans, Forough ne publie aucun nouveau recueil, mais continue d’écrire et de publier ses poèmes dans les journaux. Elle fait la connaissance d’Ebrahim Golestân, producteur de films, cinéaste et écrivain avec qui elle travaille et vit en union libre jusqu’à sa mort en 1966.

Mais sa vie, aux dires de son entourage, même en compagnie de son bien-aimé, n’a jamais été un fleuve tranquille. D’après son ami, Mehdi Akhavan Sâlès, Ebrahim Golestân a joué un rôle très important dans la reconstruction de sa personnalité, ses relations sociales et ses activités intellectuelles, un rôle que Golestân lui-même a toujours minimisé, peut-être par modestie. Après plusieurs voyages à l’étranger pour suivre des formations cinématographiques, apprenant plusieurs langues étrangères : l’italien, l’allemand, l’anglais et le français, et ayant coopéré à la production de plusieurs documentaires, elle réalise un court métrage sur La Maison des lépreux de Tabriz. Le film s’appelle « La maison est noire » et montre la vie quotidienne des lépreux. Elle y porte un regard humaniste et plein de compassion envers les souffrances de ces hommes, de ces femmes et de leurs enfants, mais qui met aussi l’accent sur leurs efforts pour surmonter les obstacles et s’adapter à une vie normale, dans un récit qui est presque une parabole de la vie en général. Cette œuvre est d’une exceptionnelle qualité poétique et artistique et Forough signe là l’un des plus beaux films du cinéma iranien. Le succès est immédiat et le film reçoit en 1962 le Grand Prix du festival d’Oberhausen en Allemagne.

Un an plus tard, en 1963, elle publie un quatrième recueil, intitulé Une autre naissance, qui inaugure la deuxième période de son activité poétique, un recueil de poèmes avec un langage, un style et une philosophie de la vie qui lui sont propres. La première période était caractérisée par des poèmes de style classique centrés essentiellement sur les sentiments d’une jeune femme, ses joies, ses désirs et ses passions, mais aussi sur ses souffrances face à l’effondrement de tout ce qu’elle essaie de construire : amour, mariage, vie familiale et surtout une vocation artistique. Ont suivi crises nerveuses et dépressions dont les séquelles ne la quitteront jamais.

La deuxième période est marquée par ses réflexions, ses compromis avec la réalité et en même temps par son regard sévère à l’égard de la société, mais aussi par ses aspirations, ses souhaits et sa volonté d’aller encore plus loin sur le chemin de l’épanouissement personnel. Avec ses deux derniers recueils de poèmes, Forough réussit à s’imposer comme l’un des plus grands poètes d’Iran et aussi peut-être l’une des plus grandes poétesses du monde.

Elle a été comparée à Sapho, la poétesse grecque, pour la liberté d’expression de ses désirs et de ses passions, à d’autres poétesses d’Amérique Latine pour l’intensité des émotions exprimées et la ferveur de ses sentiments, mais aussi à d’autres écrivains comme Colette, George Sand et enfin à Virginia Woolf, pour son avant-gardisme, ses combats de féministe contre les traditions et les conventions sociales contraignantes. Elle nous rappelle beaucoup Anne-Marie Schwarzenbach.

En quelques années, Forough réussit à conquérir « le jardin », non seulement de la vie mais aussi de la poésie contemporaine iranienne. Elle est même honorée, par l’un des plus grands poètes modernes iraniens, Mehdi Akhavan Sâlès, du titre de « La princesse des poètes persans ».

Le 13 février 1966, à 16 h 30, elle meurt dans un accident de voiture… Notre poétesse bien–aimée n’a que 32 ans… En 1966 un dernier recueil, le cinquième, contenant ses derniers poèmes, intitulé Croyons à l’approche de la saison froide est publié post mortem.


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