Jalal Alavinia
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Chercheur

Michael Barry

Spécialiste de l’Afghanistan, art et littérature médiévaux

vendredi 18 mai 2007, par Collectif LP


L’Art fuguratif en Islam Médiéval

préface de Stuart Cary Welch ISBN : 2-08-010205-2 EAN : 9782080102058 2004 Prix : 75,00 €Format : 25 x 32 cm / 399 pp.

Behzâd, enlumineur figuratif né au XVe siècle dans le royaume centrasiatique de Hérât (actuel Afghanistan), reste le plus grand nom de toute l’histoire de la peinture musulmane d’Orient : maître incontesté de cet art dit de la « miniature persane » et personnage mythique qui aurait insufflé son style à l’illustration de tous ces manuscrits exquis copiés pour les sultans d’Istanbul, d’Ispahan et de Delhi. Reconstituer le catalogue de l’oeuvre authentique de Behzâd demeure donc une exigence centrale pour rédiger l’histoire raisonnée de l’art figuratif d’une civilisation entière. Ce livre, visuellement très riche, va plus loin qu’une pure critique de la forme. Son étude poussée des peintures de Behzâd et de ses disciples dégage, pour la première fois, l’ensemble du langage allégorique caché dans ces images gemmées : avec le sens précis de chaque personnage, geste, fleur, bijou, arme, rocher, arbre ou animal. En outre, nombre des calligrammes introduits à dessein par Behzâd dans ses décors d’architecture, jamais déchiffrés jusqu’ici, se révèlent être des textes de Maître Djâmî (1414-1492), l’autorité religieuse la plus éminente et la plus respectée du monde islamique de l’époque. Or, les vers de Djâmî cités par le peintre signifient l’approbation totale, par un haut clerc de l’Islam, de l’art même de l’enluminure figurée. Les implications de cette connivence entre un peintre de cour et le plus célèbre théologien musulman de son temps sont révolutionnaires, car elles renouvellent notre compréhension du rôle paradoxal dévolu aux arts figuratifs, dans le contexte d’un islam traditionnel que l’on a cru longtemps sévèrement hostile aux images. Ce livre, véritable déchiffrage de hiéroglyphes visuels, en restitue le propos et s’inscrit donc de manière délibérée dans la lignée des travaux d’Émile Mâle sur le symbolisme de l’art médiéval chrétien. L’histoire de l’iconographie islamique accuse un bon siècle de retard sur l’étude du Moyen Âge byzantin ou occidental. Or, la peinture de Behzâd, comme celle de ses grands contemporains russes ou flamands, reste tout autant chargée de sens : car la « miniature persane », comme sa soeur gothique, est bien un art sacré.

LE PAVILLON DES SEPT PRINCESSES

[2000], trad. du persan par Michael Barry , introduction et notes de Michael Barry, 880 pages + 16 p. hors texte, 64 ill., sous couv. ill., 140 x 225 mm. Collection Connaissance de l’Orient (No 102), série persane, Gallimard -nouv. ISBN 2070759601. 32,50 €

Le Pavillon des Sept Princesses, en persan Haft Paykar ou « Les Sept Icônes », composé en l’an 1197 de notre ère par le poète Nezâmî de Gandjeh en Azerbaïdjan, est le chef-d’œuvre narratif absolu de toute la littérature musulmane médiévale, l’épopée lyrique et mystique où une civilisation entière s’est reconnue. Aucun livre poétique n’a été, en Islam d’Orient, plus médité, calligraphié, enluminé que ce songe visionnaire d’un prince initié à la sagesse, au cours d’une semaine fantasmagorique, par les sept récits de ses sept épouses, chacune logée sous une coupole astrale à la couleur de son signe stellaire ; car à chaque récit correspond une nouvelle teinte de l’âme. Le traducteur, érudit polyglotte pétri de plusieurs cultures, spécialiste reconnu de l’Asie Centrale médiévale et moderne, propose ici une traduction flamboyante et passionnée, poétique et inspirée, portée par un souffle épique mais attentive aussi aux plus fines nuances ; par un remarquable travail sur la langue, il nous entraîne, dirait-on, à la source même du poème, restitue l’éblouissante richesse de l’original, son ampleur, sa complexité, ses foisonnantes beautés.

La scène est en Afghanistan, c’est-à-dire nulle part

Michael Barry, Le Royaume de l’insolence - L’Afghanistan,

1504-2001

Flammarion 2001 /21 € ISBN : 2-08-21010102-9

Pour quelques semaines, les opérations militaires récentes ont fait de l’Afghanistan, royaume de nulle part, contrée d’ordinaire méconnue, le centre de l’attention internationale. La réédition de ce Royaume de l’insolence vient donc fort à propos pour faire découvrir au public français une terre de tout temps éloignée de nos zones d’influence.

Le massif montagneux que nous appelons Afghanistan a fait partie de l’Iran antique. Le mot d’Afghanistan lui-même a d’abord désigné quelques tribus pachtounes de la bordure orientale du pays actuel, et le pays est né tardivement, au XVIIIe siècle, pendant l’affaiblissement des deux grands empires limitrophes, la Perse séfévide et l’Empire mogol. On peut comparer la naissance de l’Afghanistan à celle des royaumes « romano-germaniques » : une « race martiale » constitue une État, en reprenant les oripeaux de l’hégémonie défunte ; un émir pachtoun se pare du titre persan de Chah. Multiethnique dès l’origine, le royaume n’a pas de limites naturelles : à l’Est, les Pachtouns, ethnie dominante, s’étendent presque jusqu’à l’Indus ; au Nord, l’Afghanistan comprend des Ouzbeks, dont la majorité réside en Asie centrale, des Tadjiks, eux aussi à cheval sur la frontière.

Ce jeune royaume, assis sur une vieille terre de rencontre et d’affrontement des civilisations, devient très vite un enjeu de la politique internationale. Dès 1809, les Anglais s’inquiètent d’une possible attaque franco-russe contre l’Inde, à travers l’Afghanistan. C’est le début du Great Game, qui dure jusqu’à la chute de l’URSS et au-delà. Ce Grand Jeu oppose des impérialismes européens : la Russie puis l’Union soviétique, d’un côté, l’Empire britannique, puis les États-Unis, de l’autre. Pour Britannia triomphante, une fois Bonaparte vaincu, une éventuelle invasion de l’Inde, perle de l’Empire, est la seule menace qui pèse réellement sur sa domination mondiale. De son côté, tout au long du XIXe siècle, la Russie poursuit sa progression implacable vers le Sud et vers l’Est (Caucase, Asie centrale, Sibérie). Pour arrêter cette expansion, les Anglais pratiquent la Forward Policy, la formation d’un glacis montagnard qui les protégera de l’avance russe. L’impérialisme britannique connaît là plusieurs échecs retentissants. Il se heurte à ce que l’auteur appelle le Yaghestan – le royaume de l’insolence repris dans le titre. Face à une occupation étrangère, le pays semble se dissoudre en poussière, les tribus se réfugient dans leurs vallées inexpugnables et harcèlent l’armée étrangère jusqu’à destruction. Elles refusent toute autorité directe d’où qu’elle vienne. Les Britanniques finissent donc par renoncer à imposer leur domination. Ils se satisfont d’un modus vivendi qui impose aux Afghans de ne pas pratiquer d’incursions vers le Raj et de ne pas recevoir de mission militaire russe à Kaboul. Pendant deux siècles, jusqu’en 1964, l’Afghanistan reste donc dans l’isolement, le « non-développement » plutôt que le sous-développement. Les structures étatiques demeurent extrêmement ténues. Une infime portion de l’aristocratie se frotte à l’Occident, en fréquentant les lycées étrangers installés à Kaboul, et, de ce fait, devient étrangère dans son propre pays.

Après 1918, les premiers signes de changement apparaissent. Avec la fin du califat ottoman, l’Afghanistan demeure le seul royaume musulman qui échappe à la colonisation chrétienne. Un nationalisme à l’occidentale fait son apparition, admiratif envers l’Italie et l’Allemagne, et prônant l’irrédentisme vis-à-vis des Pachtouns de l’Empire des Indes. Après 1947, les Américains prennent la place des Britanniques dans le Great Game, mais avec une ignorance confondante des réalités locales, bien différente de l’expertise de l’India Civil Service. De leur côté, les Soviétiques poussent habilement leurs pions, en formant les cadres civils et militaires afghans en URSS En 1964, ils offrent à l’Afghanistan un route asphaltée, dont une partie, par le tunnel de Salang, passe sous l’Hindou Kouch. Les Américains répliquent en construisant de même un axe Hérat-Kandahar-Kaboul. Le régime afghan se croit habile de faire payer les deux parties. Il n’a pas vu que l’équilibre ancien est désormais rompu. L’ouverture des voies de communication vers l’extérieur marque en effet le début de la fin pour le vieil Afghanistan médiéval. Les produits manufacturés à bas prix ruinent la production locale, toute la société est déstabilisée. En 1973, le chah Zaher est déposé par son cousin Daoud, qui devient président de la République ; en 1978, Daoud est renversé à son tour par un coup d’État communiste. Trop évidemment inféodés à Moscou, les nouveaux maîtres sont très vite rejetés par la population. Le mécanisme du Yaghestan se remet en marche : le pays se dissout, l’appareil d’État se décompose, la guérilla commence. Seule une intervention soviétique massive, à partir de 1979, suivie d’une répression monstrueuse, parvient à maintenir le pouvoir marxiste. Le retournement a lieu, en 1986, lorsque les Américains envoient des missiles Stinger à la résistance : en quelques mois, les Soviétiques perdent la maîtrise du ciel. En 1989, ils plient bagage précipitamment, et leur retraite se transforme en déroute. Le régime communiste se maintient jusqu’en 1992, puis une guerre civile interethnique succède presque immédiatement à la lutte anti-communiste. C’est alors qu’afin de remettre de l’ordre dans un pays qu’ils veulent faible mais calme, pour leur assurer une « profondeur stratégique » face à l’Inde, les services secrets pakistanais arment les étudiants en théologie pachtounes, les fameux Talibans, guerriers particulièrement rétrogrades, nourris dans la haine de l’hindouïsme et plus généralement de tout ce qui n’est pas musulman. La suite, retracée par Michael Barry, est trop connue pour qu’il soit besoin de la rapporter ici.

Américain vivant en France, persanophone, ancien membre de Médecins du monde, l’auteur a longtemps vécu en Afghanistan. Ni historien ni ethnologue, il n’en est pas moins un excellent connaisseur de la région et nous en donne un tableau fascinant, même si la partie ethnographique manque parfois un peu de clarté. Les textes des trois éditions de 1984, 1989 et 2001 se succèdent sans être amalgamés ; chaque fois, l’auteur décrit le temps présent en puisant dans le passé pour expliquer l’état actuel des choses. Ce choix provoque quelques trous, redites et confusions qu’aurait évité un exposé universitaire chronologique, mais il permet aussi de suivre l’évolution de la pensée de l’auteur, celle des mentalités en Occident entre les différentes rédactions, et de mesurer sa clairvoyance.

Qu’est-ce que l’Afghanistan ? Que s’y passe-t-il ? Quand les raccourcis et les approximations journalistiques sont impuissants à nous le dire, le beau livre de Michael Barry apporte à ces questions de fortes réponses, fruit d’une longue réflexion nourrie par l’histoire.


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