Jalal Alavinia
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FARZANEH MILANI

Les Mots sont mes armes

lundi 23 avril 2012, par Collectif LP


Mardi 29 mai 2012 à 18h

Rencontre et dialogue avec

FARZANEH MILANI

Chercheuse, spécialiste de la littérature iranienne

À l’occasion de la sortie de son dernier livre en français :

Les Mots sont mes armes*

Les femmes écrivains iraniennes et la liberté de mouvement

Traduit de l’anglais par Jalal Alavinia et Thérèse Marini

Aux Editions Lettres Persanes


Lettres Persanes

En partenariat avec Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie -

LFID

Lieu : La Maison des Associations du 12ème

181, avenue Daumesnil, 75012 Paris M° Daumesnil

Réservations obligatoires : lettrespersanes@wanadoo.fr 01 46 63 33 79

Nân va Charâb Entrée 8 € Adhérents 5 €


Farzaneh Milani est auteur de Voiles et paroles : la voix émergeante des femmes écrivains Iraniennes (1992), et a traduit avec Kâveh Safa, Une Coupe de péché : Poèmes choisis de Simine Behbahani (1999). Ancienne Directrice du Département des Etudes sur les Femmes et le Genre et titulaire de la chaire du Département des Langues et des Cultures du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, Milani est aussi professeur de littérature persane et d’études sur les femmes à l’Université de Virginie à Charlottesville. Elle était chercheuse pour Carnegie Corporation (2006-2007) et titulaire de la chaire distinguée MacAndless à Eastern Michigan University pour l’année 2010. Ancienne présidente de l’Association des Etudes sur les Femmes du Moyen-Orient aux Etats-Unis, Milani a reçu le Prix All University Teaching en 1998 et a été nominée pour le Prix Virginia Faculty of the Year en 1999.



« Ma thèse est simple : une femme a non seulement besoin d’une chambre à elle, comme l’a fait remarquer Virginia Woolf dans son œuvre majeure, Une chambre à soi, mais aussi de la liberté de la quitter et d’y retourner quand elle le veut. Une chambre sans ce droit est une cellule de prison ; une maison sans ce droit devient une maison d’arrêt. Le droit inconditionnel, sans ambiguïté et sans restriction de sortir et de rentrer est un droit individuel fondamental. Il incarne dans sa forme intégrée la capacité d’exercer et d’apprécier le sens fondamental d’une liberté autopropulsée, autodéterminée et auto-chorégraphiée. Le refus de mouvement libre par incarcération, institutionnalisation, ségrégation sexuelle et raciale, comme le mouvement forcé, prive les êtres humains de leur intégrité, de leur potentialité et du contrôle de leur corps ainsi que de leur autonomie et de leur autorité… » F. Milani

* Titre d’origine : Words not swords. Iranian Women Writers and the freedom of movement. Syracuse University Press, 2011.


Extraits :

« A la recherche de nouveaux rêves et d’autres histoires, je quittai mon pays natal et ironiquement en quittant l’Iran je suis devenue iranienne. Déracinée et transplantée, je cherchais partout un sens de familiarité et d’appartenance. J’avais besoin de quelque chose de solide pour m’y accrocher - quelques indices familiers, un point fixe dans le paysage constamment changeant de ma vie d’immigrée. J’ai progressivement adopté la littérature iranienne comme ce que j’appellerai plus tard « ma maison de substitution », dans mon livre Voiles et paroles : les voix émergeantes des femmes écrivains iraniennes.2 Elle est devenue ma consolation immédiate, mon jardin perpétuel et portable. J’y pris racines, et la transformai en lieu de mon épanouissement. Chaque fois que j’ouvrais sa porte, un parfum familier se répandait, un parfum de chez moi, d’appartenance sans effort, de l’enfance et ses mémoires. Je me trouvai de plus en plus attirée vers les œuvres des femmes écrivains iraniennes. » * « Ma thèse est simple : une femme a non seulement besoin d’une chambre à elle, comme l’a fait remarquer Virginia Woolf dans son œuvre majeure, Une chambre à soi, mais aussi de la liberté de la quitter et d’y retourner quand elle le veut. Une chambre sans ce droit est une cellule de prison ; une maison sans ce droit devient une maison d’arrêt. Le droit inconditionnel, sans ambiguïté et sans restriction de sortir et de rentrer est un droit individuel fondamental. Il incarne dans sa forme intégrée la capacité d’exercer et d’apprécier le sens fondamental d’une liberté autopropulsée, autodéterminée et auto-chorégraphiée. Le refus de mouvement libre par incarcération, institutionnalisation, ségrégation sexuelle et raciale, comme le mouvement forcé, prive les êtres humains de leur intégrité, de leur potentialité et du contrôle de leur corps ainsi que de leur autonomie et de leur autorité… Avec l’avènement de la modernité, avec l’accès croissant à la mobilité motorisée, la liberté de mouvement est devenue encore plus vitale et plus valorisée, à tel point que son refus est devenu l’instrument moderne de punition. La multiplication et l’expansion actuelles des prisons en sont la preuve…

« C’est seulement durant les 160 dernières années - le laps de temps couvert par ce livre - que les femmes iraniennes ont renégocié les frontières et ont émergé de plus en plus comme une force de modernisation et de modération. Elles ont reconfiguré les frontières, les hiérarchies et les relations entre les sexes, influencé l’attribution du pouvoir, de l’espace et des ressources, défié les modèles de la domination masculine et de la subordination féminine, étendu les champs d’action et d’imagination, élargi le domaine du travail et des loisirs des femmes, augmenté leur participation directe aux processus de prise de décisions et de postes, renforcé leurs relations sociales et consolidé leurs positions au sein de la famille, au cœur de l’Etat et enfin au centre de la communauté internationale.

« En me concentrant sur les deux aspects de ce combat en cours, j’explore deux récits concurrents de la féminité qui existent côte à côte en Iran. Les femmes sont opprimées par les lois restrictives et les interprétations des textes sacrés de l’Islam en faveur de l’homme. Elles sont aussi les forces les plus vives du changement. Les femmes écrivains ont été et continuent d’être au premier rang de ce conflit. En brisant le talisman de leur quasi-invisibilité littéraire qui a coïncidé avec leur entrée dans le domaine public, elles ont fait, de la circulation de leurs corps et de leurs voix, l’axe central de leur univers artistique. Les métaphores du confinement - murs, voiles, silences imposés, clôtures, cages, fenêtres aveugles, portes fermées et barreaux - coexistent dans leurs œuvres avec le désir de se faire pousser des ailes, de s’envoler, de fuir, de courir, de danser et de chanter à travers leurs textes ; elles témoignent de ce qui n’avait pas été dit, et repoussent les frontières dans les territoires du non-dit et de l’interdit. En refusant de me concentrer uniquement sur un aspect de cette équation ou de renforcer le clivage voilé/non-voilé, Orient/Occident, je cherche à savoir comment la liberté de mouvement permet aux femmes - voilées ou pas - d’avoir un accès plus facile aux centres du pouvoir, comment elle facilite l’exercice des droits légaux et économiques, comment elle permet la poursuite de diverses carrières professionnelles dans le secteur public, et comment elle favorise leur intégration dans le monde littéraire et assure le développement d’une société civile. * « Dans la première partie de ce livre, « Un héritage de confinement », j’examine les conséquences de la discrimination sexuelle dans une société où le droit à une place dépend de l’anatomie, et je soutiens que les relations entre les sexes, système culturellement défini et historiquement établi qui régule les rapports entre les hommes et les femmes, sont centrées en Iran sur la question de l’espace... Dans les deux premiers chapitres de la première partie, j’essaie plutôt de savoir comment les règles de la ségrégation sont simultanément acceptées et sabordées dans la littérature classique persane et dans le cinéma iranien. J’examine les questions de la représentation des femmes ainsi que leur entrée sur la page écrite et sur l’écran de cinéma. Dans le deuxième chapitre, « Les contraintes de la beauté », j’analyse le croisement de la beauté féminine, de la mobilité restreinte et de l’érotique de la passivité en Iran et dans d’autres cultures. Je demande pourquoi, les femmes statiques - les beautés dormantes - sont adorées, alors que celles qui se déplacent- les sorcières volantes (toujours des femmes) - sont calomniées…

« La deuxième partie, « Les ailes et les mots », est une célébration d’une composante importante de cet « autre Iran caché et confisqué ». Les femmes écrivains iraniennes, qui ont refusé de disparaître de la scène publique, sont parmi les figures les plus influentes de l’Iran contemporain. Elles ont produit une masse de littérature contestataire et interrogative, avec une vitesse que la littérature persane n’avait encore jamais expérimentée. Elles ont acquis une stature de haut niveau, réservée dans le passé uniquement aux hommes. Même si elles n’ont pas obtenu le niveau de reconnaissance internationale qu’elles méritent et que seulement quelques traductions de leurs œuvres sont exceptionnellement disponibles en anglais, et même si elles sont largement absentes des anthologies littéraires mondiales, elles ont tout de même produit une masse impressionnante de littérature et sont considérées comme l’emblème le plus menaçant du changement pour toutes sortes d’extrémistes. Les quatre chapitres de la deuxième partie leurs sont consacrés. Cette partie se concentre, surtout, sur quatre femmes écrivains majeures, trois poétesses et une romancière, qui construisent leurs univers sur la base de métaphores spatiales du mouvement et du confinement. Les contributions de Tâhereh Ghorratol’Ayn, Forough Farrokhzad, Simine Behbahani et Shahrnoush Parsipour au monde des lettres ont été aussi extraordinaires que leur défi lancé contre les dispositions anciennes de l’apartheid sexuel. Tâhereh qui refusa la discrimination sexuelle et célébra la liberté de mouvement (et de conscience), est reconnue comme la mère symbolique du mouvement des femmes en Iran. Les thèmes jumeaux de l’envol et de la captivité sont présentés comme le pivot central de la poésie de Forough Farrokhzad. La candeur et le courage de Simine Behbahani - la poétesse Gitane - l’ont transformée en symbole de la résistance et de l’intégrité à l’intérieur et à l’extérieur du pays et ont donné à l’Iran une poétesse nationale, pour la première fois, dans sa tradition littéraire glorieuse. Et Shahrnoush Parsipour prouve que les questions du confinement et du déplacement sont au centre de l’univers artistique des femmes et l’axe principal de leurs écrits.

« Dans la troisième partie, « Les prisonnières en attente de libération », au lieu de mettre l’accent exclusivement sur les femmes iraniennes, je me concentre sur la réduction des femmes iraniennes et des femmes musulmanes en général à des stéréotypes occidentaux. On ne peut pas dire que les stéréotypes soient totalement faux. Il y a souvent un élément de vérité. Le problème c’est qu’ils sont des représentations arrêtées. Ils sont fixes. Figés. Déshumanisés. Ils sont immobilisés, des images en cage d’une réalité qui au contraire bouge et change perpétuellement. Dans le huitième chapitre, j’étudie la naissance d’un nouveau sous-genre littéraire - le récit d’otage - et le portrait des femmes iraniennes en tant qu’éventuelles prisonnières d’un goulag géant aussi grand que l’Iran. Je soutiens que les récits d’otages, simplifient et généralisent, écrasent et fixent au lieu de préciser et développer. Ils présentent les femmes dans le rôle de victimes et effectivement rejettent leurs contributions à la culture iranienne, favorisant un récit général de l’oppression et de choses sans importance, de l’enfermement et de l’emprisonnement. Ces récits perpétuent, délibérément ou pas, l’héritage du silence et de l’insignifiance où il y a un combat déterminé pour la liberté et pour l’expression. Dans ce chapitre, j’examine l’attrait de la captivité comme un thème littéraire, et l’explosion de récits de vie écrits en anglais et adressés aux occidentaux, dans lesquels la figure de la femme musulmane est représentée comme victime d’une foi immobilisatrice, captive d’une armée multi-générationnelle de geôliers. Comme une expression des ambivalences et des conflits engendrés par les processus de la modernisation et par l’expansion du complexe de l’industrie pénitentiaire en occident, j’en conclus que l’émergence de ce stéréotype dans la littérature, est étroitement liée au drame social se déroulant à l’intérieur des sociétés occidentales. * « Chaque livre, comme une porte, peut s’ouvrir dans deux sens. J’espère que ce livre saura convier les lecteurs à la maison de la culture et de la littérature iraniennes, les accueillir et les guider vers la sortie à travers la cour et les chambres privées, au-dessus des hauts murs et des jardins secrets, vers un monde plus vaste que nous partageons tous. J’espère que les lecteurs accompagneront les femmes iraniennes loin des espaces emmurés du passé et loin de leurs rôles traditionnels vers de nouveaux territoires et qu’ils se demanderont pourquoi, vu une telle sensation éblouissante de mouvement, leur image dominante aux Etats-Unis est celle de réelles prisonnières. Pourquoi la réalité de la vie des femmes en Iran - si défiante, si vivante, si subversive - est éclipsée par l’image d’une captive prise au piège dans les cachots du fanatisme et de l’autocratie ? A quoi devons-nous attribuer cette discordance de perception ? Les femmes iraniennes, sont-elles des filles kidnappées, des jeunes femmes séquestrées, des femmes invisibles telles qu’elles sont représentées communément, ou au contraire, sont-elles la formidable force civique telles qu’elles sont présentées dans ce livre ? » F. Milani


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