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Nimâ
Sur cette sphère sans art ni lumière,
Nimâ est le nom d’un papillon solitaire
butinant les fleurs mélancoliques,
loin de la verdure du printemps,
au cœur d’un automne jauni de tristesse.
Il est aussi une main ferme
surgie des ténèbres de souffrances
qui frappe la poitrine des démons
et qui caresse le front des hommes de bien.
Nimâ c’est le nom d’un semeur de troubles
qui demeure partout et nulle part,
qui cherche son joyau perdu
sur la terre et dans le ciel.
Au moment où sa table dégarnie
va lui faire pleurer du sang,
la noblesse de son âme le lui interdit.
Il penche alors sa tête de vieux hibou
sur la page tracée de lignes noires
et continue à écrire.
Il ne rompra jamais son pacte,
il ne quittera jamais son chemin.
La mort de l’alouette
Dans le calme de la forêt, comme hier,
chaque recoin annonce l’arrivée du matin
et le lierre en grimpant le madjar 1
oublie ses chagrins.
L’air est frais, presque inerte, comme hier,
le zéphyr veut souffler, mais n’ose guère.
Sur un rocher de granit l’alouette est morte,
comme un dessin de rosée sur la pierre.
En vain ses yeux restent encore ouverts,
en vain la lumière se jette sur l’alouette :
c’est comme si ses rayons tombaient
sur un rocher.
Après le gosier, c’est le corps entier qui s’arrête.
Depuis des années, écho de son âme,
l’alouette se fond dans la tombe de ses chants.
L’air se souviendra de toutes ses aubades
à présent disparues dans l’oreille du temps.
On dirait que rien ne s’est passé dans l’univers,
le vieux noyer s’élance vers le ciel, comme hier.
Comme hier, une vigne étale
silencieusement ses branches sur une pierre.
[1]
Jusqu’à l’aube
Je tiens ma lampe allumée jusqu’à l’aube
en cette nuit brûlante,
pour bâtir dans la cité des aveugles
une muraille bienfaisante.
Voilà qu’un aveugle désignant mon œuvre
montre les défauts qu’il voit, lui !
Un autre s’acharne et se jette sur moi :
« Pourquoi comme ceci, pourquoi comme cela ? »
Mais je pose sans relâche brique sur brique,
dans la maison des aveugles
pour qu’ils puissent s’abriter demain
d’un soleil de plomb et des mauvaises mains.
Je garde donc ma lampe allumée
jusqu’à l’aube, en cette nuit brûlante,
pour bâtir dans la cité des aveugles
une haute muraille bienfaisante.
Malheur à moi !
Ma terre s’est desséchée,
mes astuces ont été vaines.
Le regard rusé de l’ennemi a trouvé ma cachette,
malheur à moi ! Il prépare pour ma poitrine
des flèches empoisonnées de haine.
Derrière ma maison,
sur les chemins ensanglantés,
il empile les têtes de morts,
couvertes de la poussière d’anciennes tombes,
et pour mieux faire souffrir les âmes désolées
il s’assied parmi les crânes empilés
et raconte des histoires de suppliciés.
La barque
Mon visage assombri,
ma barque échouée...
Ma barque échouée au rivage,
je crie :
« Sur le chemin harassant de cette plage dévastée
ma barque m’empêche toute vie
et l’eau est encore loin.
A l’aide, mes amis ! »
Mais avec un rire acerbe
tout le monde se moque de moi,
de l’instabilité de ma barque,
de l’insolite de mes propos,
de mes feux qui ne brûlent que moi.
Je suis en feu, je brûle :
un rugissement jaillit de ma gorge :
« Au moment où la mort
aiguise sa faucille,
on paie cher, très cher,
le rire et les négligences. »
[1] Nom d’un arbre des forêts de Mâzandarân, au nord de l’Iran.