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Mehdi Akhavan Sâlès

C’est l’hiver

La vie et l’oeuvre

mercredi 18 juillet 2007, par Collectif LP


Mehdi Akhavan Sales

La vie et l’œuvre *

1927 - Il est né à Machhad, la capitale de Khorasan, haut lieu de la renaissance de la langue et du développement de la poésie classique persane. Plus tard, il se donne la tâche de rapprocher le Khorasan du Mazandéran, lieu de naissance de la nouvelle poésie persane fondée par Nima Youshidj. La poésie d’Akhavan, synthèse sophistiquée et élaborée de ces deux courants, sera un aller-retour constant entre ces deux écoles.

1947 - Il finit ses études à l’École technique de Machhad pour devenir forgeron. Mais il deviendra un maître bijoutier incontestable dans le domaine de la poésie moderne iranienne.

1948 - Il ne tarde pas à échanger le marteau contre la plume et à découvrir sa véritable vocation, c’est-à-dire le travail sur les mots et l’expression des souffrances et des aspirations de son peuple. Il s’inscrit au lycée du Shahreza pour étudier la littérature. La même année, il participe au tirage au sort de l’armée et obtient 2 ans d’exemption de service militaire. Il est ensuite embauché à l’Éducation Nationale et part en mission à Varamin pour créer l’École d’Amin Abad Bahrâm Soukhteh.

1950 -Il enseigne à Palacht, dans les environs de Varamin, et se marie avec sa cousine qui a pour prénom, Iran qui dans sa tête et son cœur se confond avec le nom de sa patrie, deux être chers qu’il continuera à aimer jusqu’à la fin de sa vie : « ô vieille patrie, je t’aime ! »

1951 - Pendant qu’il enseigne à Lavizan près de Téhéran, il publie à 24 ans son premier recueil « Arghanoun » (Orgue), composé principalement de poèmes classiques qui parfois rivalisent parfaitement avec les meilleurs poèmes des grands maîtres de la poésie classique.

1953 - Il entre au service militaire, mais à l’époque « le service rendu au pays » s’échangeait contre 500 toumans, et notre poète qui n’avait pas abandonné le tablier de forgeron pour se vêtir de l’uniforme de soldat paya la somme, fut définitivement exempté et dit ‘adieux aux armes ’.

1954 - Il était dans l’air du temps que les poètes ainsi que d’autres gens de lettres ou de la pensée soient récupérés par les idéologies et les mouvements politiques en vogue. Ainsi il devient lauréat de la Médaille d’Or au Concours de Poésie organisé par le Festival de la Jeunesse Démocrate (lié au mouvement communiste prosoviétique). Il est invité à Bucarest, mais le voyage ne se fait pas. De toute façon, son « aventure » avec le Parti communiste d’Iran (Toudeh) ne porte que des fruits amers.

1955 - Les pages noires de l’histoire s’écrivent à l’encre rouge des patriotes courageux et sincères mais peut-être illusionnés : « l’homme » est de retour, « le vieux d’Ahmad Abad » est renversé dans un coup d’État assisté par la CIA. Il dédia plus tard son hommage au vieux d’Ahmadabad et dénonça ses compagnons « minables » : « Tu vois, mon cœur ! L’ami n’est pas venu. / …Tous les palais s’effondrèrent. Le fruit de nos efforts n’est pas venu…. / La prison t’épuisa, aucun message de salut vers toi et cette prison n’est venu. / Ta souffrance infinie ne fut hélas pas prise en compte, / et de la part de tes compagnons minables aucun geste sauf la fuite n’est venu… » La défaite du mouvement démocratique des années ‘ 50 et ses conséquences est l’événement fondateur dans sa vie et celle de sa génération qui revient comme leitmotiv dans la plupart de ses poèmes. D’où sa réputation comme un ’poète de la défaite’.

Mais cette même année, sa première fille, Laleh, tulipe, est née, une fleur qui ne vit pas longtemps. Akhavan, arrêté et emprisonné à cause de ses sympathies pour le parti Toudeh, est libéré quand Laleh entre dans le douzième mois de sa vie. 1956 - Ressentant une déception profonde et affecté d’un pessimisme immense qui lui feront perdre pour toujours toutes ses illusions, Akhavan publie son deuxième recueil, « Zemestan », « L’hiver », indiscutablement un chef-d’œuvre de la poésie moderne iranienne, comprenant un poème du même nom qui décrit non seulement sa conception du lendemain de l’échec du mouvement social et politique en 1953, mais qui constitue aussi le fondement de sa vision du monde dans son ensemble : « …Le temps maussade, / les portes fermées, / les têtes baissées, / les mains cachées, / les souffles ennuagés, / les cœurs fatigués et tristes, / les arbres, squelettes de cristal, / la terre abattue, / le plafond du ciel bas, / le soleil et la lune poussiéreux. / C’est l’hiver. » Ce poème hivernal marque le printemps de l’entreprise poétique d’Akhavan sur les chemins de la nouvelle poésie persane. 1957 - Naissance de sa deuxième fille, Louli. Le père est embauché à la Radio.

1959 – Naissance de son fils, Tous, héros de l’épopée nationale iranienne, Shahnameh, Le Livre des Rois, et aussi le nom d’une ville du Khorasan, où l’auteur de l’épopée, Ferdowsi est né et où lui et Akhavan sont enterrés. Une coïncidence pas tout a fait hasardeuse, car Akhavan cultivera en lui un intérêt particulier et un amour passionné pour l’Iran ancien et pou tout ce qui a un rapport avec cette époque. Les deux ont joué un rôle important dans la renaissance de la langue persane et peut-être que les iraniens en enterrant Akhavan à côté de Ferdowsi ont inconsciemment voulu non seulement rendre hommage à son rang littéraire, mais aussi rendre justice à une vie entièrement vécue dans l’ingratitude, la dureté et la misère matérielle, sans parler des persécutions et incarcérations.

Une honte pour les régimes politiques qui traitent ses grands hommes de cette manière.



La même année, en 1959, Akhavan publie un troisième recueil intitulé « Fin du Shahnameh », un autre chef-d’œuvre de la poésie moderne iranienne. « Cette harpe brisée insensée, / domptée par les griffes d’un vieux harpiste exalté », qui est la voix du poète lui-même, « chante avec joie / le souvenir des jours de gloire, / de fierté et de chasteté. / Aussi récite-elle l’histoire triste de la solitude ». Après avoir peint un portrait très accablant de son siècle, le 20ème, qui garde toujours son actualité, le poète s’adresse à cette voix intérieure qui est la harpe et lui demande de cesser de raconter des délires :

« Cette harpe brisée, nostalgique et étrange, / chantre du sanctuaire calme de l’imagination, / éternellement remplie de mystères, / quelles histoires se raconte-t-elle jour et nuit ! / ô misérable conteuse de délires, joue un autre air ! / Pour-é-Dastân ne sortira pas vivant / du puits de son frère-traître. »

1963 - Naissance de sa troisième fille,Tanasgol, nom d’un fruit appartenant à la famille des prunes, un fruit très tendre et périssable. Le mot Tanasgol signifie corps fait de fleur. La troisième fille d’Akhavan ne vit que quatre jours.

1965 - Akhavan publie « Az in Avesta », De cet Avesta, encore une autre œuvre majeure de la nouvelle poésie persane. Dans un des meilleurs poèmes de ce recueil, « Soudain la chute de quelle étoile … », il pleure le sort de son peuple et la malédiction que le destin lui à infligée :

« J’ai peur ô ombre, j’ai peur, ô amie. / Je voudrais savoir enfin / la malédiction et la colère de quel chien ivre épileptique / ont rempli cette obscurité trempée dans le sang et la boue / de la peur et de l’angoisse ? Si seulement nous pouvions savoir / la chute de quelle étoile / a soudain accentué la profondeur de la nuit ? »

La même année, il est de nouveau arrêté et ne sort de prison que six mois plus tard. Anticipant sa longue absence, il avait probablement pensé à se donner le plaisir de recevoir un beau cadeau à la sortie : naissance de son deuxième fils, Zardocht, nom du prophète de la religion mazdéenne de l’Iran ancien. Ainsi, n’affirme-t-il pas encore et encore son attachement à l’héritage de l’Iran ancien qu’il essaie d’idéaliser ? De toute façon, cet aller-retour incessant entre le passé et le présent sans avenir, à la suite de l’échec d’un engagement pour un "avenir radieux" qui s’avèrera sans lendemain, avec toutes les conséquences positives et négatives pour son esprit et sa poésie, caractérise l’ensemble de l’œuvre d’Akhavan.

1966- publication de l’épopée de « La chasse ».

1969- publication de « L’automne en prison ».

La même année, il part pour le Khouzestan (Abadan) et commence son travail à la Télévision Nationale iranienne. Il publie aussi ses « Poèmes d’amour et d’azur » et la première anthologie de ses poèmes.

1971- Il publie ses « Essais », suivis d’autres écrits théoriques quelques années plus tard dans lesquels il entreprend un travail sérieux et savant pour expliquer et défendre le rôle de Nima Youshidj dans la transformation de la poésie persane. Sa maîtrise parfaite de la poésie classique et ses connaissances théoriques dans ce domaine ont convaincu une génération entière de jeunes poètes à suivre l’exemple de Nima et à participer à leur tour à l’accomplissement de la révolution littéraire initiée par Nima.

La même année, son troisième fils, Mazdak-Ali, est né. Ali était le prénom de son père. Mazdak était un révolutionnaire de l’Iran préislamique qui se révolta contre les injustices sociales de son époque et proposa un projet social « collectiviste ». Son mouvement fut réprimé sévèrement et ses partisans furent massacrés.

Akhavan a tenté de faire une synthèse à partir des principes de l’enseignement de Zarathushtra et le projet de Mazdak. Déçu du mouvement communiste, il se réfugie dans un monde iranien imaginaire et idéalisé et cultive un ressentiment envers « l’occupant arabe » qui a imposé sa religion, détruit et dominé le pays à la suite de l’avènement de l’Islam.

1974 – Mort de Laleh, sa première fille, des suites d’une chute dans le lac des barrages du fleuve Karadj. La même année, il retourne à Téhéran et reprend son travail à la télévision nationale iranienne.

1975 - Il publie On raconte que Ferdowsi … un ouvrage pour les enfants.

1976 – Il publie le vieil arbre et la forêt, et Dans la petite cour de la prison.

1977 – Il commence une série de séminaires sur la littérature de l’époque samanide et de l’époque contemporaine à l’université de Téhéran, à l’Université Nationale et à l’École de formation des enseignants.

1978 – Il publie trois ouvrages : Les innovations et les inventions de Nima Youshidj, L’enfer, mais froid, et La vie nous dit : mais, il faut vivre.

1979 – Il commence à travailler chez Franklin, ancienne maison d’édition, rebaptisée « Organisation des publications et des enseignements de la révolution islamique. » Nous sommes entrés dans l’ère du changement des noms qui imposeront leur réel sens à tout le monde. N’avait-il pas, d’une manière prémonitoire, fait allusion à des événements à venir dans l’un des ses derniers poèmes, « Hé ! je te parle ... » :

« … La nuit n’était pas encore à mi-chemin, / pourtant nos anciens, / plus sceptiques que nous, / avaient bien entendu les démons hurler / dans les ruelles et les allées de nos quartiers … 



je sais que tu vois mieux que moi / quelle injustice souffla, et comment plus impitoyables qu’un terrible cyclone, / ils fermèrent nos fenêtres et dans les rues effacèrent / des murs les noms de nos références. »

1980 – Akhavan, qui s’était retiré de la vie politique bien longtemps avant la révolution sans jamais se séparer de la vraie politique dans le sens noble du terme, au moins dans ses écrits, part en retraite professionnelle sans toucher un centime jusqu’à la fin de sa vie. 1981 – Il publie Le don et la grâce de Nima. 1988 – Il publie ô vieille patrie, je t’aime ! 1989 – Il publie une anthologie de ses poèmes. 1990 – Premier et dernier voyage à l’étranger, d’abord en Allemagne, à l’invitation de La Maison de la Culture, participation à la soirée de poésie organisée en son honneur ; puis voyage en Angleterre, au Danemark, en Suède, en Norvège, retour au Danemark, voyage en France à l’invitation de l’INALCO, retour en Angleterre et enfin retour en Iran. Un mois après son retour, il est hospitalisé et il s’éteint à 22 h 30 du dimanche 4 Chahrivar (Août) à l’Hôpital Mehr. Une semaine plus tard, le 12 Chahrivar, son corps est transporté à Machhad et de là à Tous où il est enterré à côté de son Maître en poésie classique, et son modèle dans la vie, Ferdowsi. Comme Ferdowsi, il avait consacré sa vie entière à la gloire de sa patrie et à sa culture, sans être apprécié par les pouvoirs politiques pour sa contribution à la grandeur de l’Iran, ce pays que Ferdowsi et lui aimaient tant … A la manière d’un condamné à mort pour son idéal, Akhavan n’a cessé de crier dans ses derniers instants, sans attendre la grâce d’une quelconque autorité, son amour pour sa patrie, comme s’il voulait nous dire qu’il avait été réellement condamné à mourir dans la misère et dans la souffrance justement pour avoir aimé son pays et ses compatriotes.

* Pour les dates et les faits de la vie d’Akhavan nous avons amplement profité de la chronologie publiée dans : ‘Le jardin dénué’ ( Bagh-é bibargui ), ouvrage dirigé par Morteza Kakhi, Ed. Zemestan, Téhéran, 1999.



 ô vieille patrie, je t’aime !

De tout ce qui est dans ce monde absurde, ô vieille patrie, c’est toi que j’aime !/ Toi, ô vieille patrie éternellement jeune, Si je dois aimer, c’est toi que j’aime…/ J’adore ton Ormazd et tes autres divinités J’adore ta ‘lumière de la gloire’ et ton Farvahhar 1/ De tous les sages et tous les messagers, C’est ton vénérable Zarathushtra que je préfère…/ Ses trois « bonnes » 2 sont les meilleurs conseils pour le monde, Une telle leçon utile mais aussi brève, je préfère…/ Il ne tua personne et jamais ne donna l’ordre de tuer, Voilà pourquoi avec une telle estime je l’aime …/ Le grand Mazdak, ce sage de tous les âges, A tous égards, je l’aime./ Il donna sa vie avec courage pour combattre l’injustice, Cet homme au cœur de lion, ce justicier, je l’aime …/ Toute mon admiration pour ton cher Mani, Ce peintre - prophète, je l’aime…/ Tous tes poètes , et leurs œuvres Pareilles à la pureté de la bise matinale, je les aime./ Chez Ferdowsi, ce palais de légende qu’il bâtit Sur les horizons de la fierté et de la victoire, je l’aime./ Chez Khayyâm, cette fureur et cette colère Qui émeuvent toujours le cœur, je les aime./ Chez ‘Attar, cette passion pleine de souffrance Qui enflamme le cœur, je l’aime./ Chez l’amoureux de Chams, ce désir Qui incendie l’âme, j’e l’aime./ Chez Saadi, Hafez et Nezami, Cet amour et cette sagesse, je les aime …/ Ton passé et ton présent, rêve et légende, Celui-ci et celui-là, je les aime./ Mais entre les deux, ô présent vivant et disponible, C’est toi que je préfère…/ Tant que le monde perdure, Sois victorieux, puissant, vigilant et heureux !

1. Ange gardien de la terre. 2. Bonne pensée, bonne conduite et bonne action.


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